Après Charles Dutoit, c’est maintenant au tour de Jean Monty, le visionnaire de BCE, celui qui faisait baver tous les journalistes économiques, "un ambassadeur de grande classe pour les francophones de Montréal" (dixit André Pratte de La Presse), d’accrocher sa baguette et de se retirer dans la honte et le déshonneur.
Alors que le chef de l’OSM a été poussé vers la porte de sortie par ses musiciens qui l’accusaient de harcèlement moral, le grand patron de BCE, lui, a été victime du mécontentement des investisseurs, qui ne digéraient pas de voir la valeur de l’action de l’entreprise passer de 47 dollars il y a deux ans à une dizaine de cents la semaine dernière.
Cette fois-ci, monsieur Monty ne pouvait pas redresser la situation en sacrant à la porte une centaine d’employés. L’heure était trop grave, et les pertes, trop importantes. Il fallait faire un sacrifice exemplaire, à la mesure de la débâcle. Résultat: afin de calmer la plèbe en colère, c’est le bourreau lui-même qui est passé sous sa propre guillotine, tel Robespierre à la fin de la Terreur.
Le roi est mort, vive le roi!
Mais ne pleurez pas trop vite. Jean Monty s’en sortira malgré tout très bien, même s’il a poussé BCE à engloutir une dizaine de milliards de dollars dans l’aventure périlleuse (et éventuellement catastrophique) de Téléglobe. Que voulez-vous, c’est comme ça: dans le monde des PDG, les erreurs sont récompensées à coups de millions de dollars.
Il y a deux ans, par exemple, les grosses entreprises américaines ont vu la valeur de leurs actions diminuer de 12 %… alors que les salaires de leurs PDG, eux, ont augmenté de 22 %! Pas mal, non?
Jill Barad, la grande patronne de Mattel, a reçu une prime de séparation de 57 millions de dollars après avoir mis la célèbre compagnie de jouets dans le trou. Idem pour Mark Willes, le PDG de Time-Warner, qui a empoché 90 millions de dollars tandis que le géant des télécommunications piquait littéralement du nez.
Essayez, vous, de demander une augmentation de salaire à votre patron dans une période creuse. Il ne va même pas accepter de vous parler… Il va vous dire que l’entreprise bat de l’aile, et que tout le monde doit faire sa part.
Mais quand vous êtes un gros bonnet, pas de problème. Tout ça est réglé d’avance. Vous partirez avec le magot, que la compagnie aille bien ou non… même si vous êtes la cause directe de ses déboires!
Il y a deux semaines, le magazine américain BusinessWeek publiait les résultats d’une vaste enquête sur le salaire des présidents de grosses compagnies. Les chiffres compilés étaient fort intéressants.
Par exemple, on apprenait qu’en 2001, le salaire et les nombreux bonus du grand patron d’Apple ont augmenté de 9752 % (il gagne 83 millions de dollars par année), alors que la valeur du portefeuille des actionnaires a chuté de 40 %!
Le grand patron d’Electronic Data Systems a bénéficié d’une augmentation de salaire de 226 % (il gagne 53 millions de dollars par année), alors que la valeur des actions de la compagnie n’a augmenté que de 20 %.
Et le gros boss de Countrywide Credit a vu son salaire augmenter de 334 % (il gagne 60 millions de dollars par année), alors que la valeur boursière de sa compagnie a grimpé de 93 %.
Lawrence Allison, le PDG d’Oracle, a empoché 795 millions de dollars, alors que ses actionnaires n’ont reçu que 92 millions. Louis Gerstner, le grand patron d’IBM, a reçu 303 millions de dollars, contre 33 millions pour les actionnaires. Et John Chambers, le patron de Cisco Systems, a reçu 279 millions de dollars, alors que les actionnaires de l’entreprise ont perdu… 22 millions!
Je ne m’y connais pas beaucoup en chiffres, mais quelque chose me dit que ces salaires mirobolants n’ont pas été de très bons investissements.
En 2001, la compagnie américaine Tyson Foods a connu une très mauvaise année. Son chiffre d’affaires est passé de 151 millions de dollars à 88 millions. De plus, la compagnie a été accusée d’avoir importé des travailleurs illégaux du Mexique. Or, qu’a-t-on fait pour remercier son grand patron? On lui a donné 200 000 actions, et un bonus de 2,1 millions de dollars!
C’est ce qu’on appelle être en business.
Bref, rien à craindre concernant l’avenir de monsieur Monty. Avec un peu de chance, il dirigera même un autre groupe.
Comme Charles Dutoit.