Nous avons appris à vivre avec le cancer. Nous avons appris à vivre avec le sida. Et il semble que nous devrons apprendre à vivre avec la menace terroriste.
Après avoir longtemps vécu dans une bulle, à l’abri des catastrophes qui ravageaient le reste du monde, l’Amérique se rend maintenant compte qu’elle est, elle aussi, vulnérable. Comme les Parisiens, qui ont souvent été la cible d’attentats terroristes (on n’a qu’à penser à la terrible explosion qui a fait 7 morts et 51 blessés devant le grand magasin à rayons Tati, en septembre 1986), nous devrons, nous aussi, nous habituer à côtoyer la peur.
Dans les années 50, le gouvernement américain projetait des films éducatifs dans les écoles afin de montrer aux enfants comment se protéger en cas d’une attaque nucléaire. "C’est simple, leur disait-on: vous n’avez qu’à vous cacher sous votre pupitre et à vous enfouir la tête entre les jambes." Qu’importe si la méthode suggérée était complètement débile: le but était de montrer que l’État avait pris les choses en main. C’est comme les brochures d’information que l’on distribue dans les avions. Vous pensez vraiment qu’il suffit de se pencher pour survivre à une chute de 27 000 mètres? Bien sûr que non. Ça n’empêche pas les agents de bord de répéter le même discours à chaque décollage: "Vous trouverez des sorties de secours de chaque côté de l’avion, un masque à oxygène sous votre siège, et un gilet de sauvetage si jamais l’appareil s’abîmait en mer… Bon vol!"
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Avez-vous déjà vu le documentaire The Atomic Cafe? C’est un montage rigolo de tous les films "éducatifs" produits pendant la guerre froide. Comment construire un bunker, comment survivre à un hiver nucléaire… On regarde ces courts métrages et on se demande: "Mais bon Dieu, comment les gens ont-ils pu avaler cette salade?" Eh bien, si ça continue, on va recommencer à diffuser ce genre de documents dans nos écoles. Comment combattre le bacille du charbon, que faire si des extrémistes détournent votre avion, comment reconnaître des terroristes dans une file d’attente…
Qui sait? Les alertes antiterroristes feront peut-être partie de nos futurs bulletins de nouvelles. "Demain, petite percée de soleil en matinée, et forte possibilité d’attentat en fin d’après-midi. Sortez couverts."
On rigole, mais la situation est triste. Le temps où l’on vivait à l’abri des bombes est terminé. Nous devrons apprendre à vivre avec la peur, sans pour autant tomber tête première dans la paranoïa, comme dans les années 50. Est-ce possible? Comment conjuguer sécurité et liberté, vigilance et générosité?
On dit souvent que la meilleure façon de rendre le monde plus sécuritaire est de le rendre plus juste. L’idée est belle. Mais ça veut dire quoi, concrètement? Plier aux demandes de chaque groupuscule, négocier avec des chefs de guerre disjonctés, faire des courbettes dès qu’un leader illuminé trépigne dans son coin, de peur qu’il ne lance ses fidèles à nos trousses?
C’est bien beau, avoir le coeur sur la main, mais il ne faut pas non plus se fermer les yeux. Prenons Al-Qaida. On aurait beau appuyer la création d’un État palestinien indépendant (décision qui s’impose et qui a beaucoup trop tardé), on ne se débarrasserait pas pour autant de Ben Laden. Il n’en a rien à foutre de la Palestine, Ben Laden. Ce qu’il veut, c’est que sa vision étriquée de l’islam fasse loi aux quatre coins du monde. On fait quoi, face à ça? On s’assoit et on discute?
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La situation est d’autant plus surréaliste que nous n’avons jamais appris à vivre avec la peur. Tout, ici, doit être hyper sécuritaire. Safe sex, beurre sans gras, port du casque obligatoire, fumée interdite. Un peu de soleil? Hop, on trempe les enfants dans la crème indice 30. On est incapable de vivre avec l’insécurité, avec l’idée que quelque chose puisse dérailler. Le risque est totalement évacué de notre société. Tout juste si on ne met pas des coussins gonflables dans les cannes.
Or, on nous demande maintenant d’apprendre à vivre le cul collé sur une bombe. Tous les politiciens le répètent: la question n’est pas de savoir si ça va péter de nouveau, mais quand et où.
Il y a deux façons de réagir. Se cacher sous notre bureau, la tête entre les jambes, dans l’espoir que la tempête nous épargne.
Ou se lever et faire face à la musique.