À Catherine, ma fille aînée, qui a six ans aujourd’hui.
Vendredi dernier, Le Devoir publiait un texte sur la situation du logement à Montréal. La journaliste Josée Boileau écrivait que les couples avec enfants ont énormément de difficulté à se trouver un logis. De plus en plus de propriétaires ne veulent pas voir l’ombre d’un bambin dans leur maison. "J’aime mieux louer à trois étudiants qu’à deux adultes et un enfant", a dit un proprio à une jeune famille qui se cherchait un appartement.
Maudite belle mentalité. Typique d’une société hédoniste qui ne pense qu’à son beau petit confort, et qui se masturbe en feuilletant la dernière édition de Wallpaper. On se demande ensuite pourquoi les jeunes couples s’exilent en banlieue…
L’intolérance envers les enfants est l’une des caractéristiques de notre époque. Les gens qui ont le malheur d’avoir des kids sont traités comme de véritables parias. Essayez, vous, d’entrer dans un resto avec un enfant. On vous regarde comme si vous aviez la peste. Mais si vous organisez un party de bureau avec 10 collègues avinés qui chantent des tounes de Félix Leclerc à tue-tête, et commentent haut et fort les boules et le cul de la serveuse, pas de problème, la porte est toujours ouverte! Par ici, monsieur Couperose, asseyez-vous, on vous apporte tout de suite votre bouteille de rouge et votre cendrier. Mais vous, les jeunes parents qui faites la queue depuis 20 minutes, désolés, les tables sont toutes réservées, faudrait revenir dans 15 ans, quand votre môme sera en âge de consommer. Vous savez, nos chaises sont importées d’Italie, les gens de Décormag sont même venus prendre des photos, l’autre jour…
Résultat: vous vous retrouvez toujours chez Saint-Hubert ou à la Rôtisserie Laurier. Heureusement, il y a la Petite Italie et les restos grecs. Les Méditerranéens, eux, ont compris, ils savent que les enfants ne devraient pas être à côté de la vie, mais dedans. Ils aiment le bordel, la vie qui grouille, qui ricane.
Alors que nous, nous aimons l’ordre. Des enfants proprets, bardés de diplômes et de certificats, assis sagement sur leur cul ou enfermés dans des coins bambins avec des tunnels et des glissades, comme autant de poules dans un poulailler. Héros du samedi et génies en herbe croulant sous leur agenda Quo Vadis – danse le matin, natation l’après-midi, escrime avant le souper. Gavés de Ritalin, vêtus comme des cartes de mode, pas un pli, pas une morve, rien qui ne dépasse ou qui ne gêne.
On n’a plus d’enfants, maintenant: on investit dans le futur. Et il faut que ça rapporte, môssieur! Je n’ai pas mis des heures là-dedans pour rien, non, je veux ma part de fierté et de médailles. Souris à la caméra, Kevin! Dis bonjour à mémé, Julie!
Aux États-Unis, des groupes de lobby anti-enfants (comme No Kidding, par exemple) militent pour l’abolition des congés de paternité et de maternité. Ils souhaitent également le retrait des avantages fiscaux accordés aux parents, et la création d’une taxe spéciale pour les passagers qui prennent l’avion avec leurs bambins. "Ils ont voulu avoir des enfants, ces cons? Qu’ils en assument les conséquences! Ce n’est pas à la société de payer pour leur choix…"
Qu’importe si les sociétés ont besoin d’enfants pour se renouveler. Élever un enfant est maintenant un acte individuel. T’as voulu te reproduire? Débrouille-toi et, surtout, fais pas chier. Je bosse fort, moi, j’ai droit à un peu de tranquillité…
Mais qu’est-ce que c’est que cette société de merde qui considère les enfants comme une nuisance? Idem pour les vieux: c’est fatigant, des vieux, ça ne fait rien et ça coûte cher. On devrait les débrancher au moindre signe de fatigue…
Le génial (et bordélique) metteur en scène Dominic Champagne disait que faire des enfants est un acte subversif dans un monde qui ne pense qu’au fric et qu’à la performance. Je suis 100 % d’accord avec lui. On devrait d’ailleurs organiser une vraie journée des enfants. Pendant 24 heures, les enfants auraient le droit d’aller partout. Les amateurs de magazines d’architecture spécialisés dans les penthouses qui ressemblent à des halls d’entrée de complexes funéraires n’auront qu’à se terrer dans leur cave à vin.
Nous, on se fera un cabaret neige rose. Et on leur tirera la langue.