Ondes de choc

L’entreprise qui aimait beaucoup les enfants

Hier, RDI présentait le documentaire Un jeu d’enfant$, de Johanne Prégent. L’avez-vous vu? Ahurissant. Pendant 50 minutes, la réalisatrice nous fait entendre les propos d’une bande de gamins qui tripent littéralement sur le jeu.

Pas la marelle ou le ballon-chasseur, non: le jeu, le vrai. Les billets de loterie, la roulette, les machines de vidéo poker. Ces enfants parlent des gratteux avec des étincelles dans les yeux, et rêvent du jour où ils pourront enfin entrer au Casino de Montréal, "le gros building flashant qu’on aperçoit quand on se promène dans le Vieux-Port".

Ces jeunes n’ont pas encore 15 ans, et ils sont déjà de véritables accros. Ils connaissent tous les produits de Loto-Québec par coeur, la Super 7, Québec 49, Banco, Explosion, L’or des pharaons…

Ils sont la relève de notre chère compagnie d’État. Ce sont eux qui, plus tard, feront la queue au dépanneur pour faire valider leur billet de 6-49.

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Le phénomène des enfants joueurs n’est pas nouveau. En 1991, le magazine Time estimait que sur les 80 millions de joueurs compulsifs vivant aux États-Unis, un million n’avaient pas 18 ans. Selon les chiffres officiels, 7 % des personnes qui consultent des psychologues pour des problèmes reliés au jeu sont des mineurs.

Mais ce qui est désolant dans le film de Johanne Prégent, c’est de voir à quel point la loterie occupe une place importante dans le quotidien des jeunes Québécois. Ça fait partie intégrante de leur culture, au même titre que le hockey, il y a quelques années. À force de se faire dire qu’un jour, ça sera leur tour, les enfants ont fini par y croire. Ils sont convaincus qu’un bon matin, ils décrocheront le gros lot en grattant un bout de papier.

On entend parfois dire qu’il existe une culture de B. S. dans certains milieux. Mais qu’en est-il de la culture de la loterie, créée et entretenue par l’État? Elle est beaucoup plus répandue, et beaucoup plus pernicieuse.

La loterie, c’est le miracle d’antan. L’idée qu’on n’a pas besoin de faire des efforts pour tirer son épingle du jeu, que le salut vient d’en haut, qu’il suffit d’acheter un lampion (ou une Mini) pour sauver son âme.

La loterie, c’est le bonheur facile, Happiness for Dummies. Maigrissez sans effort, Devenez riche sans effort, Faites pousser de belles plantes sans effort. À quoi bon user son pantalon sur un banc d’école quand on peut devenir riche instantanément?

La loterie, c’est la fausse démocratie. La conviction que nous sommes tous égaux face au hasard, que le bonheur est aveugle et qu’il peut frapper partout sans distinction de race, de classe ou de sexe. "Au Québec, tout le monde est égal, même une famille de zoufs peut devenir millionnaire…"

Voilà ce qui est dramatique chez ces enfants: cette intoxication mentale qui les rend complètement gagas, cette fascination pour le fric facilement gagné. En 2002, on n’a même plus besoin de talent pour être une vedette, suffit de vivre 24 heures sur 24 devant des caméras ou de passer 10 minutes dans un aquarium rempli d’araignées. Tout est à la portée de tout le monde.

Cela dit…

Ces enfants sont le reflet de notre époque. Car à quoi ressemble l’économie, depuis quelques années, sinon à un énorme casino? Des fortunes colossales ont été amassées du jour au lendemain par des whiz kids qui n’avaient comme seul talent que d’être au bon endroit au bon moment. Certains joueurs flambent leur fric à la roulette; d’autres achètent des actions. C’est le même rituel. Les premiers soufflent sur leur dé en chuchotant: "Rouge gagnant, bébé, rouge gagnant…" Alors que les autres pitonnent sur leur ordi en disant: "L’avenir est à la téléphonie sans fil, je le sens, l’avenir est à la téléphonie sans fil…" Ils sont mus par la même croyance, la même foi aveugle.

Entre vous et moi, qui est Charles Sirois, sinon un gambler? Il a fait fortune en misant sur le bon numéro, mais la chance a tourné et il a fini par tout perdre. C’est un joueur, au même titre que Nick the Greek ou Stu Ungar, deux figures légendaires de Las Vegas.

En 1998, Loto-Québec a fondé une filiale, Ingénio, spécialisée dans la création de nouveaux produits de loterie interactifs.

Désolé, mais cette loterie révolutionnaire existe déjà.

Ça s’appelle la Bourse.