Ondes de choc

Radio libre

Il y a quelques années, un journaliste a demandé à Jean Barbe, alors rédacteur en chef de Voir, de définir le style du journal qu’il dirigeait. "Nous voulons parler de politique comme s’il s’agissait de culture, et de culture comme s’il s’agissait de politique", avait-il répondu.

La formule n’était pas que jolie. Elle résumait à merveille les intentions du journal, c’est-à-dire prendre la culture au sérieux et jeter un regard ironique et irrévérencieux sur la politique. Pourquoi faut-il automatiquement être frivole lorsqu’on parle des arts, et assommant lorsqu’on traite du pouvoir?

Alors, si vous le voulez bien, cette semaine, nous allons prendre les propos de notre ex-rédacteur en chef au pied de la lettre, et traiter du paysage politique québécois comme s’il s’agissait de la scène culturelle.

Question quiz: à quels chanteurs les chefs politiques du Québec ressemblent-ils?

Bernard Landry
Le PQ sous Bernard Landry ressemble aux Parfaits Salauds. Bon groupe, piètre chanteur. Comme les musiciens des Salauds, les députés péquistes pourraient se passer de leur chef – pas le contraire. On a l’impression, en regardant évoluer le PQ, d’entendre un groupe hybride, discordant. Les musiciens crachent un bon gros rock solide et fiable (à défaut de révolutionner le genre), mais le chanteur, lui, manque complètement de punch. On se met à rêver à un disque instrumental: que l’accompagnement, pas de voix.

On pourrait aussi dire que le PQ sous Landry ressemble à Genesis, version Collins. C’était tellement mieux quand le chanteur se contentait de jouer de la batterie…

Jean Charest
Le Rudy Caya de la politique québécoise. Where is he now?

L’Union des forces progressistes
Jethro Tull. Live from the Seventies. On les croyait morts et enterrés, mais les voilà de retour avec un nouvel album et une nouvelle tournée. Ils sont comme ces gens qui oublient d’enlever leurs décorations de Noël sur leur balcon. Nous sommes rendus à la fin juin, et ils ont toujours une couronne de sapin ou un renne en plastique accroché à leur porte d’entrée. On passe devant chez eux, et on se demande: "Ils sont soit très, très en retard, soit très, très en avance…"

Ils sont comme "The New CHOM-FM". Tellement vieux qu’ils semblent neufs. Surtout pour les gens nés après les années 80…

Mario Dumont
Jay-Jay Johanson. Vieux crooner gominé sur fond de musique techno. Les fans de Sinatra adorent car ça leur rappelle les années 50; et les admirateurs de Beck tripent comme des cochons car ce mélange postmoderne de jeune et de vieux leur semble hyper avant-gardiste.

Comme Jay-Jay, Super Mario est tiraillé entre l’avenir et le passé. Autant ses propos sur le système de santé, le niveau de taxation et la sécurité d’emploi dans la fonction publique nous galvanisent par leur audace (enfin, un politicien qui n’a pas peur de confronter les groupes de pression et de dire ce qu’il pense!), autant ils paraissent sortis d’un autre âge. C’est ça, la solution? Baisser les taxes, créer un système de santé à deux vitesses, jeter le débat constitutionnel aux poubelles? Been there, done that, non?

Quoique…

Comme Jay-Jay, Mario nous invite peut-être à reculer pour mieux sauter. C’est comme le duo Elvis Costello-Burt Bacarach. Traditionnel en surface, mais avant-gardiste dans le fond.

À moins que ça ne soit le contraire, je ne sais pas…

***

Une chose est sûre, cependant: depuis les élections complémentaires de lundi, le palmarès musical est complètement transformé. C’est comme si un nouveau poste FM avait vu le jour, et qu’il ne diffusait ni du Céline ni du Pink Floyd.

Avant, on se contentait de sauter mécaniquement d’un poste à l’autre. Mais aujourd’hui, grâce à l’arrivée soudaine de cette troisième station, on va recommencer à tourner le bouton de notre radio et à balayer les ondes hertziennes, l’oreille à l’affût.

Qui sait? En chemin, on va peut-être capter d’autres fréquences, entendre d’autres sons.

Découvrir de nouvelles idées.

Ne serait-ce que pour ça, la vague Dumont aura valu le coup.

Elle nous aura permis d’entendre autre chose que le grésillement ambiant qui, depuis déjà trop longtemps, nous tient lieu de musique…