Les présumés terroristes ont-ils des droits? C’est la question que se posent les Américains à la suite de l’affaire Padilla.
Ancien membre d’un gang criminalisé de Chicago, Jose Padilla est soupçonné d’avoir voulu faire exploser une bombe contenant des éléments radioactifs – ce qu’on appelle communément une "bombe sale". Padilla (qui a adopté le nom d’Abdullah al Muhajir après s’être converti à l’islam) a été incarcéré dans un poste militaire de Caroline du Nord. Non seulement lui a-t-on interdit de parler à un avocat, mais on ne l’a accusé d’aucun crime. Malgré cela, Padilla est gardé sous verrous par ordre du président, "jusqu’à la cessation des hostilités dans la guerre contre la terreur". C’est-à-dire pour un maudit bon bout de temps.
Cette pratique a fait bondir plusieurs éditorialistes, qui accusent le gouvernement américain d’utiliser des méthodes antidémocratiques. "L’empire soviétique n’est pas mort, d’écrire Bob Herbert dans le New York Times. Il a juste déménagé son quartier général à Washington."
"Effectivement, les droits fondamentaux de Padilla ont été violés, affirme pour sa part un autre analyste, Jonah Goldberg. Mais la question est de savoir si le gouvernement américain a bien fait d’agir ainsi. La réponse est oui. Il faut parfois subordonner nos libertés individuelles pour le bien de la collectivité. Après tout, notre Constitution n’est pas un pacte de suicide."
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Quelques jours après les attentats du 11 septembre, l’écrivain anglais John Le Carré a fait paraître un texte d’opinion virulent, qui a été repris dans plusieurs journaux du monde entier. "Quoi qu’il advienne dans les prochains mois, les terroristes islamistes responsables de cette atrocité ont déjà gagné la guerre, écrivait-il en substance. Car pour les combattre efficacement, nous n’aurons d’autre choix que de limiter certaines de nos libertés civiles si chèrement acquises."
Le célèbre auteur de romans d’espionnage a parfaitement raison. La liberté et le respect des droits de la personne sont les valeurs les plus importantes des démocraties. Lorsque nous décidons de les mettre en veilleuse, c’est tout notre système que nous trahissons. C’est comme si nous faisions exploser une tonne de dynamite sous les assises mêmes de notre société. C’est comme si nous détruisions tout ce que nous sommes, tout ce que nous défendons.
Quoi qu’en pensent les idéalistes naïfs, la démocratie n’est pas un jardin de roses. C’est probablement le système le plus exigeant qui soit. Il implique que nous défendions les droits fondamentaux de nos ennemis avec la même intransigeance que les droits de nos amis.
Vivre en démocratie, ce n’est pas seulement protéger les gens qui sont blancs comme neige, c’est protéger également ceux qui sont gris foncé et brun pâle.
Ça tient en quelques principes de base. Tout individu est innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable. Tout le monde a droit à une défense pleine et entière. Tout citoyen a droit au respect de sa vie privée. Et tout le monde a le droit d’exprimer librement ses opinions.
Relisez cette phrase, monsieur Boulad et madame Lagrange, auteurs de la Grande Gueule contre le film Irréversible, la semaine dernière: TOUT LE MONDE A LE DROIT D’EXPRIMER LIBREMENT SES OPINIONS. Même les mauvais cinéastes.
Surtout les mauvais cinéastes. Car c’est parce que les mauvais cinéastes ont le droit d’utiliser la violence à des fins purement mercantiles que Kubrick a pu faire A Clockwork Orange.
C’est facile de défendre les droits de Marie Laberge. Mais ce n’est pas Marie Laberge qui a besoin d’être défendue et protégée, c’est Sade.
Sade et John Robin Sharpe, le vieux libidineux qui s’est battu pour avoir le droit d’écrire de la FICTION pédophile. Gaspard Noé et Pier Paolo Pasolini, le cinéaste italien qui a réalisé Salo ou les cent vingt journées de Sodome. La liberté de ces créateurs doit être défendue avec une égale passion, un égal acharnement.
Désolé, mais demander que l’État censure un film que l’on n’a MÊME PAS VU n’est pas en accord avec les valeurs démocratiques.
C’est plutôt digne des talibans.
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En passant, je ne voulais pas aller voir Irréversible, le film-choc de Gaspard Noé. Mais après la lecture du texte hystérique de Boulad et Lagrange, je me suis précipité au cinéma et j’ai payé mon billet.
Mon verdict? Irréversible est loin d’être un grand film. Mais ce n’est pas une coquille vide non plus. Noé a un discours, et la violence insupportable de la scène du viol est tout sauf gratuite.
Je le sais. Je l’ai vue.