Ondes de choc

Satan is an American

Vous ne l’avez probablement même pas vu. C’était un petit entrefilet publié dans les journaux, le 2 juillet dernier. Une dépêche de l’Agence France-Presse concernant un fait divers qui s’est déroulé le mois dernier au Pakistan.

Le titre: "Violée pour punir les actes de son frère".

Dans un petit village du Panjab, un membre de la tribu Gujjar a eu une relation sexuelle avec une femme de la tribu Mastoi. Or, dans cette région du globe, ça ne se fait tout simplement pas. Les Mastoi, voyez-vous, font partie de la classe supérieure, et il est strictement interdit d’avoir des "relations sexuelles illicites" avec une femme d’un rang social plus élevé.

Révoltés par ce crime odieux, les habitants du village ont donc traîné le malheureux garçon devant un jury tribal, qui l’a déclaré coupable. Afin de punir le contrevenant, on a décidé de violer sa soeur de 18 ans.

La jeune fille a donc été livrée à quatre hommes de la tribu Mastoi, qui ont abusé d’elle à tour de rôle. La pauvre n’avait pas le choix: si elle n’obéissait pas à la décision de la "cour", c’étaient toutes les femmes de la famille du garçon qui étaient violées. Lorsque les quatre hommes ont terminé leur basse besogne, la jeune fille est rentrée chez elle complètement nue, devant une foule d’un millier de personnes.

Vous avez bien lu.

Cela ne s’est pas déroulé en 1510, mais en juin 2002, dans un pays qui possède l’arme nucléaire.

***

J’ai lu cet entrefilet, et je me suis dit: "Il va certainement y avoir des réactions. Des gens vont organiser des manifs, on va faire circuler des pétitions sur Internet, n’importe quoi. Après tout, quand des tarés sudistes ont décidé de lyncher des Noirs, dans les années 50-60, en Alabama, le monde s’est indigné, les groupes progressistes ont rué dans les brancards et dénoncé ces actes barbares…"

Mais non, rien. Pas un mot.

Et puis je me suis souvenu: les manifs, ce n’est que contre les États-Unis.

Vous avez déjà vu des manifs devant l’ambassade de l’Arabie Saoudite pour dénoncer le sort qu’on y fait subir aux femmes, vous? Ou des anarchistes brûler des mannequins à l’effigie de Vladimir Poutine?

Non, jamais.

On vise toujours la même cible: les States et George Bush. Comme s’il n’y avait que nos voisins du sud (ou Israël) qui violaient les droits de la personne.

Organisez une manifestation destinée à critiquer le gouvernement américain, et vous remplirez facilement une dizaine d’autobus. Mais essayez d’organiser un événement dénonçant les agissements de la Chine, de l’Irak ou du Burundi, et c’est tout juste si vous trouverez assez de gens pour remplir votre Mini-Austin.

Prenez Cuba, par exemple. Pendant des années, le régime castriste enfermait et torturait les homosexuels, qu’il considérait comme des dégénérés et des traîtres à la patrie. Pour Fidel, l’homosexualité est une perversion bourgeoise. Même aujourd’hui, il est encore interdit d’afficher publiquement son homosexualité dans le pays, sous peine d’amende ou d’arrestation. Or, avez-vous vu un groupe de gauche militer devant l’ambassade de Cuba, vous? Pas un. Alors que chaque année, on organise des manifs, des caravanes de sensibilisation ou des colloques destinés à dénoncer l’embargo américain contre Cuba…

Je ne dis pas que les États-Unis sont blancs comme neige. Mais cette propension à n’associer le mal qu’à un seul et unique pays est grotesque et ridicule.

Vous savez pourquoi les manifs contre le G8, l’ALENA ou la mondialisation sont si populaires? Parce qu’elles visent une seule et unique cible: les États-Unis. Organisez une manif dénonçant le génocide que commet actuellement le gouvernement russe en Tchétchénie, et vous entendrez chanter les criquets. Que voulez-vous, crier contre la Russie, ce n’est pas in. Alors qu’afficher son mépris contre George W. et les gros magnats de Wall Street, c’est tellement plus cool.

On a l’impression que nos militants anarchistes ont été conditionnés par le docteur Ivan Petrovitch Pavlov, Prix Nobel de médecine en 1904. Vous agitez un drapeau chinois, et ils ne bronchent pas. Mais vous sortez le bout d’un drapeau américain de votre tiroir, et ils se mettent à japper.

Désolé, mais ce n’est pas une réflexion, ça.

C’est un réflexe.