Ainsi, Bruny Surin a accroché ses souliers de course après une brillante carrière internationale. Deuxième homme le plus rapide au monde en 1999 (il a couru le 100 mètres en 9,84 secondes lors des Championnats du monde d’athlétisme à Séville), le célèbre sprinter de Rosemère a décidé de tourner la page et de passer à autre chose.
Détenteur de plusieurs titres mondiaux (il a été quatre fois champion du monde), Surin était un athlète extraordinaire, l’un des plus grands que le pays ait connus. Sa retraite ne marque pas seulement la fin d’un certain âge d’or (la relève canadienne en athlétisme est pratiquement inexistante), elle arrive à un moment-clé de l’histoire du sport.
En effet, malgré ses performances remarquables, Surin était un être humain comme vous et moi. Or, aujourd’hui, ce ne sont plus des hommes qui participent aux compétitions, mais des machines.
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Dans The Ultimate Running Machine, un reportage fascinant annoncé en couverture, le journaliste Andrew Tilin nous fait visiter le nouveau centre d’entraînement high-tech mis sur pied par la compagnie Nike, à Portland. On se croirait dans un film de science-fiction.
Les fabricants de souliers de course, on le sait, se livrent une guerre sans merci. C’est à qui chaussera l’athlète le plus rapide, le plus performant. Afin de faire mordre la poussière à leurs compétiteurs, les bonzes de Nike ont décidé de mettre le paquet. Ils ont investi des millions de dollars dans la création d’un gym expérimental capable de transformer des athlètes prometteurs en machines à gagner des médailles (donc, à vendre des baskets).
Visuellement, ce centre ne casse rien. C’est un petit bungalow tout ce qu’il y a de plus banal. Mais on y a installé un système sophistiqué de filtrage de molécules qui vide l’air ambiant de son oxygène. Résultat: les athlètes qui s’entraînent dans ce centre ont l’impression de vivre à une altitude de 12 000 pieds – ce qui améliore grandement leur performance. Vous passez quelques jours dans ce bungalow, et le pourcentage de globules rouges contenu dans votre sang grimpe de 21 %, exactement comme si vous vous entraîniez à Albuquerque, au Nouveau-Mexique!
Ce centre est également équipé d’ordinateurs hyper-puissants capables de vous renseigner instantanément sur l’état de vos reins, de votre foie ou de votre système nerveux central. Grâce à ces machines rutilantes qui feraient pâlir d’envie les mécaniciens de Ferrari, vous pouvez effectuer toutes sortes de petits ajustements à votre organisme, comme si votre corps était un bolide de course! On vous suggère de serrer un boulon ici, de graisser un essieu là… Vous vous collez des électrodes sur la poitrine, et le tour est joué. Le système d’ondes Omega, développé par une équipe de savants russes, vous dit quel volume d’oxygène vous devez respirer au cours des prochaines heures, dans combien de minutes votre corps devra se reposer, si vous devez accélérer ou ralentir votre rythme cardiaque, si vous avez besoin de réhydratation, etc.
Et attendez, ce n’est pas tout.
Il y a aussi un système vidéo capable de découper chaque mouvement d’une seconde en 30 images fixes (histoire de rectifier la position de votre gros orteil lors des prochaines courses), de même qu’une plate-forme vibrante qui, dit-on, améliore la circulation des ondes électriques entre le cerveau et les muscles des jambes.
On dit ensuite qu’il faut interdire la consommation de drogues dans les compétitions sportives car cela crée une inégalité entre les athlètes! Et ces technologies high-tech, alors? Croyez-vous que le petit coureur du Kenya peut rivaliser contre un Américain qui s’est entraîné pendant quatre mois à l’ultra-gym de Nike?
Que reste-t-il d’humain dans toutes ces manipulations? Il est où, le défi? Elle est où, la saine compétition? Pensez-vous vraiment que l’athlète qui suit ce genre d’entraînement débile est plus sain et plus équilibré qu’un sprinter qui se shoote aux hormones?
Bientôt, si ça continue, les organisateurs des J.O. et des championnats du monde n’auront pas le choix, ils devront faire comme à la Formule 1: remettre une médaille au coureur, puis une autre à l’équipe d’ingénieurs qui a "construit" son corps.