Ondes de choc

L’homme-araignée

Ainsi, Lucien Bouchard et Mario Dumont se téléphonent de temps en temps pour discuter à bâtons rompus sur la situation politique du Québec.

Entre vous et moi, ce n’est pas très surprenant. L’ex-ami de Brian Mulroney partage plus de points en commun avec le chef de l’ADQ, qui milite pour une réduction du rôle de l’État, qu’avec Bernard Landry.

Ce qui est savoureux, dans toute cette histoire, ce n’est pas que Dumont et Bouchard se parlent. C’est qu’ils se soient rencontrés lors du célèbre souper aux homards organisé chaque année par l’animateur de radio Jean Lapierre.

Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la politique canadienne ont entendu parler des fameux soupers aux homards de Jean Lapierre. Ces rencontres gastronomiques sont au monde politique ce que la partouze annuelle de Guy Laliberté, le gros patron du Cirque du Soleil, est au monde du showbiz. Si vous êtes invité, c’est signe que vous êtes important.

En 3010, les sociologues qui voudront savoir qui étaient les Québécois les plus influents à la fin du 20e siècle et au début du 21e n’auront qu’à parcourir la liste des convives présents au fameux soupers de Lapierre. Cette liste se lit comme un véritable Who’s Who du pouvoir. On y trouve des ministres, des ambassadeurs, des magnats de la finance…

On dit souvent que tous les chemins mènent à Rome. Au Québec, tous les chemins mènent à Jean Lapierre. L’animateur-vedette de CKAC et de TQS est le King du réseautage. Je suis sûr que son Rolodex est plus gros que les turbines de Manic-5.

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En surface, Jean Lapierre n’est qu’une grande gueule parmi tant d’autres. Mais en fait, c’est l’homme-araignée. Chaque soir, l’ex-ministre libéral (et ex-député bloquiste) court les cocktails et les soupers afin de tisser sa toile, et agrandir sa sphère d’influence.

Vous vous souvenez du film Zelig? Woody Allen y racontait les aventures extraordinaires d’un homme qui réussissait toujours à se faire photographier aux côtés des plus grands personnages du siècle. Eh bien, Jean Lapierre est le Zelig québécois. Il connaît tout le monde, et tout le monde le connaît. Il distribue les conseils et les faveurs comme si c’était des Life Savers…

C’est la raison pour laquelle les patrons du réseau TQS sont allés le chercher. Parce que Lapierre a un formidable réseau de contacts. Un coup de téléphone, et hop! le ministre Untel saute dans sa limo pour répondre à ses questions à son émission.

C’est ce qu’on appelle avoir de l’influence. Beaucoup d’influence.

Sur le webzine Options Carrières (http://www.cacee.com/coptionsF/networkF.html), on nous dit comment constituer un solide réseau de contacts.

"Vous devez garder à l’esprit que le réseautage se fait dans les deux sens, y lit-on. La plupart des gens sont prêts à vous tendre la main quand vous en avez besoin, mais si vous frappez à tout bout de champ à leur porte sans jamais rien leur donner en retour, ils pourraient devenir indifférents et vous pourriez vous trouver privé d’informations utiles. Prenez donc le temps de leur montrer que vous vous intéressez sincèrement à ce qu’ils font. Demandez-leur comment vous pourriez les aider à atteindre leurs objectifs. Si vous tombez sur quelque chose qui pourrait les aider, dites-le-leur. Faites-leur sentir que vous leur êtes aussi précieux qu’ils le sont pour vous, car vous ne savez jamais quand vous pourriez avoir besoin de faire appel à eux de nouveau."

C’est la recette de Jean Lapierre. Scratch my back, I’ll scratch yours. Je te mets en contact avec Johnny si tu me présentes Gaston. Une méthode qui pousse plusieurs observateurs à dire que Lapierre est un conflit d’intérêts ambulant, qui se sert de son micro pour consolider ses alliances.

C’est la théorie Hygrade: je suis un journaliste recherché car j’ai des amis influents, et j’ai des amis influents car je suis un journaliste recherché.

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On publie beaucoup de biographies de politiciens, au Québec. Mais si j’étais éditeur, je commanderais une biographie non autorisée de Jean Lapierre. L’histoire de cet homme peut nous en dire plus long sur les rouages du monde politique que la carrière de n’importe quel premier ministre.

J’ai déjà un titre.

Le tisserand du pouvoir.