Je ne sais pas si c’est un signe de l’Apocalypse, mais le merveilleux monde du showbiz est en train de crouler sous la poussière. Jethro Tull, Supertramp, les Rolling Stones, Alice Cooper, Deep Purple, Ted Nugen, Yes, The Who – on a l’impression que tous les dinosaures du rock se sont donné la main pour sortir de leur caverne et envahir les stades.
Avouez-le, il y a quelque chose de profondément pathétique à voir ces vieux schnocks multimillionnaires jouer les rebelles fringants, et demander à leurs fans de payer 150 $ pour les entendre gueuler contre la société de consommation.
On a le goût de monter sur la scène et de les pousser en bas de leur marchette.
Ces pépés de la guitare devraient lire Rock Til You Drop, du journaliste américain John Strausbaugh. Dans ce pamphlet au vitriol publié aux éditions Verso, Strausbaugh prend un malin plaisir à pourfendre les rockers gériatriques qui refusent catégoriquement de vieillir.
Dès les premières pages, le ton est donné. "Le rock est une musique de jeunes, écrit l’auteur. Cette musique devrait être jouée par des jeunes pour des jeunes, dans un environnement qui exclut toute personne ayant l’âge de leurs parents. (…) Quand Steve Perry de Journey a de la difficulté à effectuer des tournées à cause de son arthrite, il est temps pour le groupe de se retirer. Quand Eddie van Halen doit faire attention à la façon dont il bouge sur scène à cause de sa hanche artificielle, c’est signe que le temps est venu pour lui de faire ses adieux à la scène et de devenir un musicien de studio. (…) Le rock est censé distiller l’énergie de la jeunesse: l’ignorance, la rébellion, la découverte, les hormones. Rares sont les quinquagénaires capables de donner vie à ces qualités sans passer pour de parfaits idiots."
Les pires représentants de cette tendance sont sans contredit les Rolling Stones. Sir Jagger est en train de ressembler à Elvis à la fin de sa vie. Plus les Stones vieillissent, plus ils jouent sur de grosses scènes, et plus ils sont éloignés les uns des autres. Comme le souligne Strausbaugh dans son livre, "il y a quelque chose de métaphorique dans cette image. On n’a plus l’impression de voir un groupe rock quand on regarde les Stones perdus sur leur gigantesque scène, mais les membres du conseil d’administration d’une multinationale qui se sont réunis pour leur meeting annuel. Les Stones ne sont pas des rockers; ce sont des vieux messieurs qui jouent à être des rockers".
Quant aux clips, n’en parlons pas. Voir Jagger se trémousser comme s’il avait 22 ans sur les ondes de MusiquePlus est aussi embarrassant que de surprendre votre grand-père en train de se frotter contre un support à soluté.
Vous me direz que les vieux rockers ne sont pas tous aussi tristounets. Vrai. Mais pour chaque Bruce Sprinsteen, qui vient de nous donner l’un des meilleurs albums de sa carrière à l’aube de la cinquantaine, combien de buveurs de Postum bedonnants? Combien de Jon Anderson, de David Lee Roth ou de Roger Daltrey?
Si au moins ces clowns momifiés agissaient comme des gens de leur âge. Mais non; ils continuent de se prendre pour des ados boutonneux gavés de bière et de testostérone. Et plus ils tentent de nous faire croire qu’ils sont jeunes, plus ils paraissent vieux.
"Je ne me sens pas vieux lorsque j’écoute de jeunes rockers, écrit Strausbaugh, qui est né en 1951. Je me sens jeune. Même lorsqu’ils répètent les mêmes accords stupides que je jouais avant qu’ils ne viennent au monde, s’ils le font avec énergie, fraîcheur et abandon, je suis heureux. Pour moi, c’est ça, le rock’n’roll. Le Jagger de 1965 est très rock’n’roll. Celui de 1995 est un cauchemar, une parodie grotesque de tout ce qu’il représentait."
La semaine dernière, j’étais à Las Vegas. Partout sur le strip, on voyait des affiches de Sheena Easton, de Rick Springfield et de Air Supply. "Ils se retrouvent tous ici?" dis-je à un journaliste local. "Oui, me répond-il. Vegas a toujours été le refuge des has been. Avant, on accueillait les has been des années 60. Maintenant, on reçoit les has been des années 80."
À quand un musée de cire des Stones?