Le Québec ressemble à un banc de poissons. Il suffit qu’un membre du clan bifurque soudainement pour que tous les autres le suivent.
Prenez le débat sur le port de l’uniforme dans les écoles.
Il y a deux semaines, je me suis absenté du pays pendant quelques jours. Avant mon départ, personne ne parlait de ce sujet. Aujourd’hui, c’est the talk of the town. Les journaux, les lignes ouvertes, les bulletins d’information – tout le monde en discute. On a l’impression que cette question est devenue une priorité nationale. Il faut trancher à tout prix. L’avenir du système d’éducation québécois en dépend.
Voulez-vous me dire comment c’est arrivé? Comment une toute petite brise estivale s’est soudainement transformée en ouragan?
Le phénomène est d’autant plus spectaculaire que la question est, avouons-le, plutôt stérile.
"Le port obligatoire de l’uniforme réduira considérablement le taxage dans les écoles", nous dit-on. Vous ne trouvez pas ça crétin, vous? C’est comme si on disait que l’interdiction des mini-jupes réduirait le nombre de viols… "Tu t’es fait taxer, mon pit? C’est parce que tu portais des vêtements à la mode." "Tu t’es fait agresser, ma pauvre? Tu n’avais qu’à t’habiller comme une charrue." Belle logique… S’il y a du taxage, qu’on identifie les taxeurs et qu’on les punisse! Nous viendrait-il à l’idée d’interdire les scooters parce qu’il y a des vols de scooters?
Deuxième argument pro-uniforme: les parents ne se sentiraient pas obligés d’acheter des vêtements signés à leur progéniture. Là encore, admirons la logique imparable… La semaine dernière, ma fille aînée voulait un Pokémon-à-piles-qui-parle-en-anglais-et-qui-cligne-des-yeux. Savez-vous ce que je lui ai répondu? "Non."
Allez, répétez après moi: "Non." Ça vous a arraché la gueule? Si vous ne savez pas dire non à un enfant, c’est que vous n’étiez pas fait pour en avoir. Vous auriez dû vous procurer une roche ou un lézard.
Ce n’est pas parce qu’on vend des G-Strings pour fillettes de six ans qu’il faut obligatoirement leur en acheter.
Troisième argument: le port de l’uniforme aplanirait les différences sociales, et mettrait tous les étudiants sur le même pied d’égalité. De tous les arguments pro-uniforme, celui-là est mon préféré. Comme si les gosses de riches avaient besoin d’un écusson de Tommy Hilfiger pour se reconnaître! Comme si les pauvres se sentiraient moins pauvres s’ils portaient une veste aux couleurs de l’école!
Désolé, mais les jeunes auront toujours tendance à former des clans. Si ce n’est pas riches versus pauvres, ça sera gros versus minces, ou beaux versus moches. On fait quoi, alors? On oblige tous les jeunes à porter des masques, afin "d’aplanir les différences"? Il y aura toujours des jeunes jocks qui sont bons en gym, et des nerds-à-lunettes qui n’attirent aucune fille… Comme on dit, c’est la vie. Aussi bien confronter la réalité le plus tôt possible.
Le fossé qui se creuse entre riches et pauvres vous met mal à l’aise? Ce n’est pas en interdisant les vêtements signés dans les écoles ni en créant l’illusion d’une fausse égalité sociale que nous allons venir à bout du problème. Au contraire: ça risque de l’exacerber. Plus vous balayez la poussière sous le tapis, plus vous risquez de faire de l’asthme.
La vie est injuste. C’est plate, mais c’est ça. Il y aura toujours plus riches que plus pauvres que nous. Cacher les inégalités sous un uniforme bleu et vert ne réglera strictement rien. C’est comme éloigner les sans-abri du centre-ville, ou parquer les vieux dans des mouroirs luxueux en bordure de la rivière des Prairies. C’est une opération strictement esthétique, destinée d’abord et avant tout à nous donner bonne conscience. L’injustice est toujours plus supportable lorsqu’on ne la voit pas. Lorsqu’on la gomme, lorsqu’on l’efface.
"Des pauvres dans notre école? Mais non, regardez, tout le monde il est beau, tout le monde il est égal."
Qu’on interdise les t-shirts bedaine à l’école, va. Qu’on établisse des règles vestimentaires de base, passe encore. Mais de grâce, cessons de prendre le port de l’uniforme pour une solution miracle!
Et puis, j’en ai marre d’entendre des sexagénaires frileux qui ont passé leur jeunesse tout nus à gober des buvards de LSD dire aux jeunes quoi fumer et comment s’habiller. Les jeunes vous disent-ils comment nettoyer votre dentier?