Ondes de choc

La manière forte

Il y a un an débutaient les premières frappes sur l’Afghanistan. Depuis, que se passe-t-il? Absolument rien. Ben Laden continue d’animer Terrorists’ Funniest Home Videos, sur les ondes d’Al-Jazeera. L’Afghanistan est toujours sur le bord de la ruine. Et les conditions qui ont permis l’éclosion de groupes terroristes sanguinaires dans cette région du monde ne se sont pas résorbées.

Bref, it’s business as usual.

Maintenant que les talibans n’ont plus de poil à se mettre sous la dent, les États-Unis ont détourné leur regard de l’Afghanistan pour s’intéresser à l’Irak.

Lundi dernier, le Globe and Mail publiait un reportage sur l’état de santé de l’Afghanistan. Le portrait brossé par le quotidien torontois est pathétique. Le gouvernement de Hamid Karzai, qui était censé reconstruire le pays avec l’aide de la communauté internationale, est abandonné à lui-même et complètement démuni. Il n’arrive même pas à payer les salaires de ses fonctionnaires. Comment voulez-vous qu’ils soient pris au sérieux par la population locale?

Quand c’est le temps de construire des ponts et des routes en Afghanistan, ou d’envoyer des sacs de riz aux miséreux via un ONG à la mode, pas de problème, l’Occident est là. Mais lorsque vient le moment d’aider concrètement le gouvernement de monsieur Karzai, c’est le calme plat. On pourrait entendre chanter les criquets.

Pourtant, l’essentiel, présentement, ce n’est pas d’offrir des autoroutes en béton "gracieuseté du gouvernement canadien" (maudit qu’on est fins, hein?). C’est d’appuyer l’État afghan. Lui permettre de payer adéquatement ses employés, d’asseoir sa crédibilité, de consolider ses assises.

Or, combien d’argent George W. Bush compte-t-il consacrer à la reconstruction de l’Afghanistan en 2003? Zéro cenne. Rien. Nada.

En date du 14 mai 2002, les États-Unis avaient versé 5 millions de dollars US au Fonds de reconstruction de l’Afghanistan, contre 7 millions pour l’Italie, 10 millions pour l’Allemagne, 150 millions pour la Grande-Bretagne et 34 millions pour les Pays-Bas. C’est ce qu’on pourrait appeler des pinottes.

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Vous voulez avoir un portrait de ce qui se passe en Afghanistan ces temps-ci? Louez Les Trois Rois (Three Kings), l’extraordinaire film de David O. Russell, avec George Clooney et Mark Wahlberg.

Le réalisateur nous montre comment le gouvernement de George Bush père a baisé la population irakienne au lendemain de la guerre du Golfe. Pendant le conflit, le gouvernement américain n’arrêtait pas de faire toutes sortes de promesses aux Irakiens. "Révoltez-vous contre Saddam, et nous vous récompenserons largement", leur répétait-on. Or, dès que le Koweït et ses puits de pétrole furent libérés, G. I. Joe est retourné dans son champ de maïs en Idaho, laissant les rebelles irakiens aux mains de leur tortionnaire moustachu. Résultat: des milliers de civils qui avaient répondu à l’appel des Américains et qui s’étaient battus pour instaurer un régime démocratique en Irak furent massacrés.

Merci pour l’aide, les gars.

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Deux étapes sont nécessaires pour installer un régime démocratique dans une dictature.

Crisser le dictateur dehors.

Nommer un gouvernement de transition, et lui apporter tout le soutien nécessaire.

Le gouvernement américain (et ses alliés, c’est-à-dire nous) ne s’intéresse qu’à la première étape. Une fois les bombes lâchées, et les cadavres retombés, il passe tout de suite à autre chose.

Quand c’est le temps de faire la guerre, pas de problème, on peut compter sur Oncle Sam ("I love the smell of napalm in the morning"). Mais lorsque vient le temps de changer de vitesse et de passer en mode "diplomatie", paf! John Wayne lève les feutres et prend ses jambes à son cou.

Comme si seul l’aspect militaire comptait.

Il faut dire que c’est bon pour l’économie, une bonne guerre éclair. Ça fait rouler la machine, et ça fait de belles images à CNN. Alors que la diplomatie et la politique internationale, ça coûte cher, et ça ennuie tout le monde.

George W. dit se battre contre l’empire du Mal. Bien.

Mais souvent, la meilleure façon de lutter contre les ténèbres est de financer l’achat de chandelles.