Ondes de choc

Let’s roll

Dimanche dernier, l’historien Stephen E. Ambrose est mort à l’âge de 66 ans, d’un cancer des poumons.

Avec Cornelius Ryan, l’auteur du Jour le plus long, Ambrose était sans aucun doute le spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale le plus connu et le plus respecté. Steven Spielberg et Tom Hanks lui ont d’ailleurs demandé d’être conseiller spécial pour deux de leurs productions, le film Saving Private Ryan et la mini-série historique Band of Brothers.

Si je vous parle d’Ambrose, c’est que j’ai toujours éprouvé une énorme fascination pour la Deuxième Guerre. Non seulement ai-je passé mon adolescence à dévorer les livres de Cornelius Ryan (Un pont trop loin, sur la désastreuse bataille d’Arnhem, aux Pays-Bas, est un véritable chef-d’oeuvre que j’ai lu deux fois de suite), mais je ne compte plus le nombre de fois que j’ai regardé la célèbre série documentaire de la BBC Le Monde en guerre. Cette fascination a atteint son point culminant il y a quatre ans, alors que je suis allé visiter les plages du débarquement, en Normandie.

Pourquoi cette période de l’Histoire et pas une autre? Parce que la Deuxième Guerre était une extraordinaire leçon de courage. Comme l’a affirmé le philosophe Alain Finkielkraut dans une entrevue qu’il nous accordait en avril 1999, le débarquement du 6 juin 1944 "est un exploit peu commun qui ne se répétera jamais. Des Américains, des Canadiens et des Anglais sont morts à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux pour défendre les droits des Européens. C’est déjà difficile de mourir pour sa patrie, alors imaginez mourir pour la patrie des autres! Ce sacrifice collectif est une incarnation formidable de l’idée d’universalisme".

Depuis quatre, cinq ans, on note une recrudescence d’intérêt pour tout ce qui touche la Deuxième Guerre mondiale. Pas étonnant. L’homme occidental évolue dans un monde douillet. Il se rase la poitrine, se teint les cheveux et passe ses journées devant un ordinateur à jongler avec des abstractions. Difficile, dans cet univers de signes, de se sentir vraiment viril.

Rares sont ceux qui l’avoueraient, mais tous les hommes se posent la même question: "Suis-je courageux? Serais-je capable de risquer ma vie pour protéger mes proches?"

Il y a 58 ans, les pays de l’Alliance ont fait montre d’un courage extraordinaire. Aujourd’hui, comme a osé le dire Bill Maher, l’animateur du défunt talk-show Politically Incorrect, l’Occident est devenu moumoune. Nous menons nos guerres à distance. L’heure est aux affrontements numériques, chirurgicaux. Nous nous plaquons derrière nos ordinateurs, et nous lançons des missiles téléguidés. "B-27: coulé!" Nous ne voyons plus de sang, nous n’entendons plus personne crier. Nous sommes comme le tireur fou de Washington. Cachés, embusqués. Regardant nos victimes à travers une lorgnette.

Jouant à la guerre comme à Battleship.

Le courage, aujourd’hui, est une notion totalement galvaudée. "Vous avez du courage d’écrire ce que vous écrivez", me dit-on parfois. C’est gentil, mais c’est complètement faux. Être chroniqueur en Algérie est un métier dangereux. Pas ici. Au Québec, la seule chose que vous risquez, c’est d’être regardé de travers quand vous faites votre épicerie.

Le véritable courage est physique. Monter dans une tour en feu, tenter de neutraliser des terroristes qui ont pris le contrôle d’un avion.

Pas surprenant que la figure de Todd Beamer, le passager du vol 757 qui a lancé le fameux "Let’s roll" avant de trouver la mort dans l’écrasement de l’appareil lors des attentats du 11 septembre, ait autant frappé notre imaginaire.

Beamer était un yuppie typique. Un homme d’affaires de 32 ans qui vendait des systèmes informatiques et qui ne se séparait jamais de son téléphone cellulaire. Mais ce jour fatidique, Beamer est passé à l’action. Il s’est découvert un courage qu’il n’avait jamais soupçonné.

"Aujourd’hui, on ne mourrait plus pour rien, nous disait Alain Finkielkraut il y a trois ans. Tocqueville avait raison: notre grande passion, maintenant, c’est le bien-être. L’idée fondatrice de toutes les républiques – le sacrifice suprême – est de plus en plus étrangère à nos sociétés."

Stephen E. Ambrose était-il arrivé à la même conclusion? Toujours est-il qu’il a consacré sa vie à honorer le courage de ses contemporains. Comme s’il savait cette valeur condamnée, et qu’il voulait en préserver le souvenir pour les générations futures.

Chapeau, monsieur.