On parle beaucoup, ces temps-ci, de Bowling for Columbine, le documentaire de Michael Moore sur la culture des armes à feu.
Le réalisateur de Roger and Me affirme que si les Américains sont autant obsédés par les carabines, c’est parce qu’ils vivent dans une culture de la peur. On leur fait peur tous les jours. On leur dit que les Irakiens veulent leur peau, que des abeilles empoisonnées vont envahir leurs écoles et que des pédophiles se cachent derrière chaque buisson. Non seulement les citoyens américains tremblent-ils dans leur froc, mais la Maison-Blanche elle-même affirme que la meilleure façon de régler ses comptes est de sortir ses mitraillettes et de tirer dans le tas.
La théorie de Moore est séduisante. La peur, l’individualisme à outrance et l’omniprésence de la violence dans la culture politique américaine contribuent certainement à créer un terreau fertile pour les futurs snipers. Mais un élément manque à sa proposition: la répression sexuelle.
Si les mâles américains ont autant tendance à tirer de la mitraillette, c’est peut-être parce que plusieurs d’entre eux ont de la difficulté à exprimer leur virilité.
Je ne dis pas que c’est la seule explication possible. Mais on ne peut pas parler des armes à feu sans faire un détour du côté de Freud. Parfois, une carabine n’est pas qu’une carabine.
Vous me direz qu’il y a du cul partout aux États-Unis. Effectivement, le sexe est omniprésent dans les médias. Mais c’est le propre des sociétés puritaines que de célébrer le cul tout en le réprimant.
Malgré ses airs de libéralisation, la société américaine est l’une des plus puritaines au monde. Vous pouvez montrer une femme se faire tirer dans le ventre aux heures de grande écoute, mais pas une femme en train de se faire caresser les seins. L’expression de la violence est permise, voire encouragée, mais pas celle du désir.
En fait, on pourrait dire que la violence permet aux Américains de canaliser leur énergie sexuelle. Au lieu de faire gicler le sperme, ils font gicler le sang. Pourquoi pensez-vous que la plupart des tireurs fous sont des hommes solitaires dans la force de l’âge?
On aurait tort de sous-estimer les conséquences désastreuses du refoulement du désir sur les individus qui sont déjà socialement et politiquement aliénés. Vous me ferez remarquer que les sociétés musulmanes orthodoxes répriment le sexe, et qu’elles n’ont pourtant pas de problèmes de snipers. Mais les musulmans orthodoxes canalisent leur énergie sexuelle autrement – dans la ferveur religieuse. La religion, dans ces sociétés, joue un rôle de soupape, d’exutoire. Alors qu’aux États-Unis, ce n’est pas le cas.
Et puis, entre vous et moi, comment pensez-vous qu’on crée un terroriste? On contrôle sa sexualité, on le réprime au max, et on lui dit que s’il se fait sauter, il aura des blow jobs pour l’éternité. C’est la base même du mysticisme. (Pensez aux martyrs cathos qui atteignaient le nirvana en se fouettant ou en se faisant torturer. La sexualité et la violence ont toujours été intimement liées, les pulsions violentes prenant le relais des pulsions sexuelles lorsque celles-ci ne pouvaient pas s’exprimer en toute liberté.)
Comme l’écrivait le psychanalyste Wilhelm Reich dans son célèbre ouvrage La Révolution sexuelle (publié dans les années 30!): "Un fort instinct naturel ne peut être éliminé, mais à la rigueur dévié ou altéré. La continence refoule la pulsion sexuelle. Il peut en résulter beaucoup de fanatisme et de bizarrerie, de haine et d’érotisme en imagination."
Bien sûr, il ne faut pas sombrer dans la psychanalyse simpliste. Il ne suffit pas de libéraliser les moeurs pour se débarrasser du problème des tireurs fous. Mais on ne pourra jamais comprendre ce phénomène dans son entièreté si on ne l’aborde pas AUSSI sous l’angle de la sexualité.
La société américaine est effectivement une société individualiste, obsédée par la peur et la consommation. Mais c’est aussi une société profondément puritaine.
Autant Jack l’Éventreur était un produit de l’Angleterre victorienne, autant les snipers disjonctés qui tirent dans les centres commerciaux sont des produits du puritanisme américain.
Alors, oui, on peut pointer du doigt la NRA et Charlton Heston, comme le fait Michael Moore. Mais il faut aussi blâmer le moralisme ambiant qui transforme les individus en bombes à retardement.