Ondes de choc

Les aventures de la liberté

Après avoir été annoncée à grands coups de trompettes, l’adaptation cinématographique d’Un homme et son péché débarque finalement dans les salles.

Eh oui: Séraphin. En 2002.

Le monde brûle, la démocratie est en crise, les civilisations s’entrechoquent, l’homme est confronté à des questions morales de première importance, et qu’est-ce qu’on nous propose? Une nouvelle adaptation de l’oeuvre de Claude-Henri Grignon. Même pas une relecture: une illustration.

C’est ce qu’on appelle un projet pertinent. On avait autant besoin de Séraphin Poudrier que du Coke vanille.

Le plus bizarre dans ce projet, c’est qu’il est réalisé par Charles Binamé, celui-là même qui nous a donné Eldorado et Le Coeur au poing. Le cinéaste de la dérive urbaine plongé dans l’univers torpinoucheviande à chienmy my du terroir québécois le plus profond. Que nous prépare-t-on comme prochain coup? Menaud, maître draveur 2? Le Fils d’Aurore, l’enfant martyre?

Remarquez, lorsqu’on y pense à deux fois, ce retour aux sources est vachement tendance. De Brian Ferry à Rod Stewart, en passant par George Michael et Robbie Williams, la mode chez les chanteurs en panne d’inspiration est de revisiter les classiques. Chanter du Gershwin, siffloter du Cole Porter, se frotter aux standards de la chanson américaine. Reculer pour mieux engranger le cash.

Cela dit, qu’est venu faire Binamé dans ce canot d’écorce? La question m’a trotté dans la tête tout au long du (très, très long) visionnement de Séraphin.

Jusqu’à ce que je trouve un semblant de réponse.

Avec Séraphin, Binamé ne contredit pas ses films précédents. Il fait juste nous montrer un autre côté de la même médaille.

(Suivez mon raisonnement, ça ne fera pas mal, je vous jure.)

***

Séraphin nous montre des gens épris de liberté. Des hommes et des femmes étranglés par les conventions et la religion, incapables d’aller au bout d’eux-mêmes, condamnés à une vie d’abnégation.

Des êtres humains qui étouffent parce qu’ils n’ont pas le choix.

Alors que dans Eldorado et Le Coeur au poing, c’était le contraire. Les personnages étouffaient non parce qu’ils n’avaient aucun choix, mais parce qu’ils avaient justement trop de choix. Ce n’est pas la lourdeur des structures qui les tuait à petit feu, mais l’absence de structure.

Le premier film traite de claustrophobie. Les deux autres, d’agoraphobie. Deux facettes d’une même problématique.

Donalda est la soeur jumelle du personnage incarné par Pascale Bussières dans Eldorado. Autant l’une veut s’échapper, autant l’autre veut se raccrocher.

L’épouse de Séraphin rêve de sortir de sa cabane en bois rond pour se perdre dans la forêt laurentienne. Alors que les enfants blessés d’Eldorado voulaient, eux, quitter la jungle urbaine pour enfin trouver un home sweet home où panser leurs plaies.

Donalda, Bidou, Séraphin et Alexis nous apparaissent comme des bagnards, des esclaves. Mais sommes-nous plus libres qu’eux?

La ville d’Eldorado n’était-elle pas, elle aussi, une prison? Les gens qui sont condamnés à tourner en rond sont-ils plus heureux que ceux qui ne peuvent aller nulle part?

Qu’est-ce qui est pire: devoir passer sa vie à côté d’une personne que l’on n’aime pas, ou multiplier les aventures sans conséquence ni lendemain?

Dans Hardcore, le célèbre film de Paul Schrader, une prostituée discute avec un père de famille hyper catho. "Nous sommes pareils tous les deux, lui dit-elle. Pour vous, le sexe est si peu important que vous ne faites jamais l’amour. Pour moi, il est si peu important que je passe mon temps à baiser."

C’est la problématique à la base même des films de Binamé: la liberté dans tous ses états. Ceux qui en manquent. Ceux qui en ont trop.

"Si Dieu est mort, alors tout est possible", écrivait Dostoïevski. Et si tout est possible, rien n’est condamnable. Il n’y a plus de bien ou de mal, de haut ou de bas, aucun repère, aucun instrument de mesure, aucun compas pour nous guider.

Les contemporains de Séraphin souffraient de ne jamais pouvoir échapper au regard de Dieu. Alors que nous souffrons de vivre dans un monde sans arbitre ni juge.

Alors je vous pose la question: qui est le plus libre?

Celui qui est enfermé dans sa maison, ou celui qui se promène avec un baluchon, sans jamais avoir à rendre de comptes à personne?