Ondes de choc

À quoi bon

Amis écolos, réjouissez-vous! Demain, le monde entier célébrera la Journée sans achat, destinée à protester contre les effets néfastes de la surconsommation.

Alors, de grâce, si vous avez prévu acheter un sofa italien à 4 500 dollars, retenez-vous.

N’allez pas l’acheter le 29. Mais le 30.

Qu’est-ce que ce délai de 24 heures va changer? Entre vous et moi: strictement rien. La planète va continuer à se porter aussi mal. Mais au moins, vous pourrez dormir la conscience tranquille en vous disant que vous avez participé à la lutte contre le néolibéralisme.

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Vous me trouvez cynique? Désolé, ce n’est pas ma faute.

Je viens tout juste de voir Vacarmes: cabaret perdu, la nouvelle création de Dominic Champagne, et j’ai encore une grosse coulée de bile qui me remonte dans la gorge.

Vacarmes, c’est la suite officieuse de Cabaret Neige Noire, le célèbre spectacle qui, il y a 10 ans, a été salué comme étant l’Ostidshow de la génération X.

Pendant deux heures et demie, Champagne et sa bande brossent un portrait dévastateur de notre époque. Leur diagnostique: nous souffrons tous de mauvaise conscience aiguë.

Nous voyons que le monde tourne mal, mais nous ne savons pas quoi faire pour qu’il se porte mieux. Alors nous multiplions les gestes symboliques destinés à nous donner bonne conscience.

Nous sortons nos bacs à recyclage une fois par semaine. Nous achetons du café équitable. Nous accrochons des rubans de toutes les couleurs à notre veston. Et nous attendons 24 heures avant d’acheter un lecteur DVD.

Mais voulez-vous me dire à quoi ça sert de recycler nos quatre bouteilles de vin hebdomadaires quand d’innombrables industries crachent des milliers de tonnes de gaz polluants dans le ciel chaque jour? Ce geste n’est-il pas dérisoire?

À quoi bon "planter les graines de l’espoir" si, de toute façon, le sol est bourré de pesticides?

Croyez-vous vraiment que le fait de porter un ruban rouge va changer quoi que ce soit à la lutte au sida? Que de brandir des pancartes devant l’ambassade d’Israël va pousser les États-Unis à revoir leur politique étrangère? Que de composer un hymne à la paix va empêcher une seule balle d’atteindre sa cible?

Montrez-moi une sculpture ou une pièce de théâtre qui a mis un terme à une guerre, et je vous présenterai un homme qui marche sur l’eau.

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Si vous êtes le moindrement déprimé, tenez-vous loin de Vacarmes. Ce cabaret risque de porter un coup fatal à votre moral. Comme m’a dit une amie: "S’ils continuent comme ça, pour leur prochain spectacle, Champagne et sa bande vont se crisser en bas du pont Jacques-Cartier."

Cela dit, une fois ce constat dressé, on fait quoi? On reste les bras croisés, et on laisse le monde courir à sa perte sans bouger le petit doigt?

Entre les utopies rose bonbon de Michel Fugain (Tout va changer demain), et les haussements d’épaules sarcastiques du Théâtre Il va sans dire (On s’en sacre!), il doit y avoir un entre-deux, non?

Jacques Michel avait-il raison lorsqu’il chantait que ce sont les gouttes d’eau qui alimentent le creux des ruisseaux? Ou ces étincelles d’espoir finissent-elles par se dissoudre dans la merde ambiante?

L’artiste, à notre époque, occupe une position inconfortable. Quand il nous livre un message optimiste ("Tout va bien dans le meilleur des mondes, les choses finissent toujours par s’arranger, allez en paix"), on dit qu’il nous endort. Et quand il nous livre un message pessimiste ("Il n’y a rien à faire, ça ne vaut pas la peine, de toute façon, on s’en va chez le diable"), on dit qu’il nous castre. Quoi qu’il fasse, on le soupçonnera d’incitation à l’apathie.

Avec Vacarmes, Dominic Champagne a choisi de jouer la carte du négativisme. Mais ce n’est pas pour nous encourager à dormir, au contraire. Comme il l’a déjà affirmé en entrevue: "Il y a une beauté à vouloir affronter nos monstres. Au moins, quand on les affronte, il y a une possibilité de surmonter l’épreuve. Alors que si l’on ne nomme pas l’objet de l’épreuve, il y a une espèce d’angoisse qui s’installe, une impossibilité d’agir parce qu’on n’arrive pas à nommer le monstre en question."

Dans son dernier spectacle, Champagne nomme le monstre qui nous menace. À chacun de nous, maintenant, de trouver comment le terrasser.