Faut-il légaliser toutes les drogues?
C’est la question qu’a posée Cactus Montréal, l’organisme communautaire qui supervise le fameux programme d’échange de seringues, lors d’un débat public qui s’est déroulé lundi soir, à l’ancien Théâtre National, rue Sainte-Catherine Est.
Pour l’occasion, les directeurs de Cactus avaient invité quatre spécialistes de la question: le sénateur conservateur Pierre-Claude Nolin, président du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites (un orateur particulièrement allumé qui transformerait n’importe quel sceptique en ardent défenseur du Sénat); le docteur Pierre Lauzon, qui travaille à la clinique de désintoxication de l’hôpital Saint-Luc; le criminologue Jean-Claude Bernheim, président de la Ligue des droits des détenus; et monsieur Serge Gascon, directeur adjoint à la direction des enquêtes du Service de police de la Ville de Montréal.
Pendant plus de deux heures, participants et membres du public ont pu échanger leurs points de vue sur la question.
S’il y a une chose qui est ressortie de cette rencontre animée par votre humble serviteur, c’est que la police n’est pas sortie du bois. Elle continue de vanter les vertus de la répression, même si le bateau coule à pic.
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Le discours de la police tient en une phrase: "Effectivement, la lutte que nous menons contre les trafiquants de drogues ne remporte qu’un succès mitigé, mais si nous baissions les bras, ce serait pire, et le crime organisé serait plus puissant."
En d’autres mots: mieux vaut mettre un sparadrap Barney sur le torse d’un homme qui vient de se faire couper en deux par une scie à chaîne que de ne rien faire.
L’optimisme de monsieur Gascon (et du service de police) est touchant. Mais il ne mène malheureusement nulle part. C’est bien beau, vouloir réanimer les mourants, mais il faut savoir imposer des limites à l’acharnement thérapeutique. Ça ne sert à rien de masser un cadavre. Comme le chantait (presque) Charles Aznavour: "Il faut savoir quitter la table d’opération lorsque la vie est desservie…"
Or, la politique de la répression n’est pas seulement mourante, elle est enterrée. Plus morte que ça, tu te décomposes…
Il ne faut pas brancher cette idéologie à un respirateur artificiel, comme tente de le faire la police. Il faut lui donner l’extrême-onction et lui fermer les paupières.
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Donnez-moi une heure, et je peux vous trouver n’importe quelle drogue possible et impossible: ecstasy, coke, héro, pot… Pour chaque petit revendeur que la police arrête, 75 autres sortent du métro Berri. À quoi sert cette mascarade?
Pourquoi défendre à tout prix une politique qui ne fonctionne pas?
Au tout début du débat organisé par Cactus, monsieur Gascon affirmait que la lutte contre les trafiquants de drogues ressemblait à une partie de poker. D’un côté, il y a la police; de l’autre, le crime organisé.
Malheureusement, les deux joueurs ne se soumettent pas aux mêmes règles. La police doit respecter la loi, alors que les bandits peuvent tricher. La police possède peu de moyens, alors que les bandits peuvent miser des milliards de dollars. Et la police se doit d’être transparente, alors que les bandits, eux, cachent leur jeu. "Cette partie de poker est extrêmement difficile à gagner", de conclure (avec franchise et lucidité) monsieur Gascon.
Pourquoi la jouer, alors?
Si les dés de la répression sont pipés, pourquoi ne pas miser sur la légalisation? Pourquoi s’acharner à perdre des millions de dollars dans une partie que, nous le savons pertinemment, nous ne gagnerons jamais?
"Il faut diminuer les revenus que le crime organisé tire du trafic de drogues", a scandé le directeur adjoint à la direction des enquêtes du SPVM. Mais la meilleure façon d’atteindre ce but n’est-il pas justement d’enlever le trafic de drogues des mains des gangsters pour le mettre dans celles de l’État?
N’est-ce pas la réflexion qui était à la base même de la création de Loto-Québec et de la SAQ? N’est-ce pas pour cette raison qu’on a enlevé les vidéo-pokers de l’emprise de la mafia?
Pourquoi ce qui était bon pour le jeu ne le serait-il pas pour les drogues?
Difficile de savoir si monsieur Gascon pense vraiment ce qu’il dit, ou s’il fait seulement de la politique. Mais une chose est sûre: le discours de la police est révolu.
Comme disent les Anglos: Time to wake up and smell the coffee.