[Modifié le 27 janvier 2003]
Finalement, c’est la Libye qui présidera la fameuse Commission de l’ONU sur les droits de la personne.
Quelle bonne nouvelle pour les amis de la démocratie!
Le champagne doit couler à flots dans le palace du colonel Kadhafi. On a dû tuer le veau gras (et une couple de prisonniers politiques) pour célébrer l’événement. Ce n’est pas tous les jours qu’un dictateur soupçonné d’avoir financé des réseaux terroristes aux quatre coins du monde réussit un tel coup de maître. On n’a pas vu pareil revirement de situation depuis que Henry Kissinger a remporté le prix Nobel de la paix pour son excellent travail au Viêt Nam. Une telle victoire mérite un sacré coup de képi.
Je me demande comment le peuple libyen a accueilli cette nouvelle.
Il doit être content, le peuple libyen. Il doit fêter fort. Enfin, pas trop fort. Parce que lorsque le peuple s’énerve trop, Kadhafi envoie ses troupes et fout des dizaines de personnes en taule, où elles pourrissent sans jamais passer devant un juge.
On aime tellement les droits de la personne, en Libye, qu’aucune élection libre ne s’y est déroulée depuis la fin des années 60. Le gouvernement contrôle entièrement le système judiciaire, on pratique la torture de façon systématique, les prisons sont remplies d’opposants politiques, la liberté de presse y est pratiquement inexistante, on expulse de force les travailleurs immigrants, on réprime les minorités ethniques, on exerce de la discrimination contre les femmes, on exécute sommairement les adversaires du régime, on ne respecte pas la vie privée des citoyens…
Mais bon, pourquoi trébucher dans les fleurs du tapis, hein? Aucun pays ne peut se targuer d’avoir un dossier sans tache.
C’était au tour de l’Afrique d’envoyer un émissaire à la tête de la Commission de l’ONU, et l’Afrique a choisi la Libye. Alors, levons nos verres, amis, et fêtons ce grand moment de démocratie.
Santé, colonel!
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Parlant de démocratie…
Vous avez participé à la marche contre la guerre en Irak, samedi? Bien. Il ne faut jamais hésiter à exprimer sa dissidence. C’est notre droit le plus fondamental.
Je suis sûr que si les Irakiens pouvaient le faire, ils marcheraient eux aussi dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol du gouvernement de Saddam Hussein. Ils brandiraient des drapeaux, crieraient des slogans, chanteraient des refrains protestataires aux côtés de leurs comédiens préférés…
Malheureusement, ils ne le peuvent pas. Parce que Saddam, voyez-vous, est tellement dingue qu’il ferait passer Kadhafi pour Nelson Mandela.
Je lisais un reportage sur l’Irak, l’autre jour. Le journaliste se promenait dans les rues de Bagdad en compagnie d’un citoyen irakien. Quand l’auto du reporter passa devant un des luxueux palais de Saddam, le pauvre irakien baissa les yeux et se recroquevilla dans la bagnole. "Pourquoi agissez-vous de la sorte?" lui demanda le journaliste.
"Parce qu’en Irak, il est interdit de regarder les palais de Saddam lorsqu’on passe devant, de dire l’homme. Si on vous prend en flagrant délit, on vous jette en prison et on vous torture."
Ce qui me fait penser: ce serait peut-être intéressant d’organiser une manif pour dénoncer ce qui se passe en Irak, non?
Quoique… Je ne sais pas si ça attirerait autant de gens.
C’est tellement plus cool de gueuler contre les Américains. Ça ravive toutes sortes de souvenirs, c’est rempli de référents culturels.
Alors qu’une manif contre Saddam… Who cares?
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Il y a quelques jours, à la radio, un comédien que je ne nommerai pas a pris la défense du film Les Dangereux, de Louis Saïa.
"Dans quelques années, a-t-il lancé sans l’ombre d’un deuxième degré, on va se rendre compte qu’on est passé à côté d’un film audacieux, qui était en avance sur son temps. Si ce film n’a pas marché, c’est parce qu’il était trop original, comme la série Bunker…"
Avouez que c’est extraordinaire.
Si les gens courent voir votre film, c’est parce qu’il est bon. Et s’ils le boudent, c’est parce qu’il est TROP bon.
D’un côté comme de l’autre, on ne perd jamais. Tout est toujours bon tout le temps.
Le Québec est le seul pays du monde où les artistes ne ratent jamais leur coup. On est soit super bon, soit trop bon. C’est pas génial, ça?
Les chefs des partis politiques devraient en prendre note. S’ils perdent aux prochaines élections, ils pourront dire que c’est parce que leur programme était trop en avance sur le peuple…