Je l’ai toujours dit: les lecteurs de Voir (autant les intellos du Plateau que les moustachus de Longueuil) sont hyper-allumés.
Prenez ma chronique de la semaine dernière. J’ai commis un lapsus impardonnable, parlant de Kaboul au lieu de Bagdad. Hé bien, vous avez été des dizaines à sauter sur votre téléphone ou sur votre ordinateur afin de relever cette erreur grossière et m’envoyer un coup de pied au cul bien placé.
Votre célérité à réagir fait chaud au coeur (même si c’est dur pour les fesses et pour l’ego).
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Pour ceux qui ont raté cette chronique, je disais essentiellement que c’était bien de manifester contre l’esprit militariste américain, mais que ce serait bien aussi de protester contre les exactions commises par le régime de Saddam Hussein. Après tout, le mal et la bêtise ne logent pas qu’aux États-Unis.
Cette affirmation (qui tombe sous le sens, à mon humble avis) a mis en rogne certains fans de Noam Chomsky, qui refusent systématiquement de voir que certains pays n’ont pas besoin de l’oncle Sam pour s’embourber. Pour ces adeptes de l’antiaméricanisme primaire, tout ce qui va mal dans le monde est imputable aux États-Unis. Un dictateur torture ses dissidents à l’autre bout du monde? Hop, c’est la faute aux Yankees!
Les Américains sont coupables d’intervenir et coupables de ne pas intervenir. D’une façon ou d’une autre, ils sont coupables.
Ces fidèles qui croient les yeux fermés devraient lire l’essai de Pascal Bruckner Misère de la prospérité: la religion marchande et ses ennemis (Grasset). On y trouve un passage éclairant sur ce que Bruckner (qui est tout, sauf pro-américain) appelle "la culture de l’excuse". Je vous en livre un extrait:
"Chaque fois qu’une atrocité, un massacre sont commis quelque part sur terre par ceux que l’on désigne comme déshérités, on leur oppose, surtout à gauche, une formule magique: ils ne peuvent pas avoir fait ça! "Ils" y ont été forcés par la misère, l’impérialisme, l’humiliation. L’homme est bon, seule la société, surtout capitaliste, est mauvaise. Le mal n’existe pas, il n’y a que des circonstances méchantes. Ainsi, des violences à l’école aux tueries sur tel ou tel continent, toute infraction devient justifiée. Toute déraison a ses raisons économiques, toute barbarie s’enracine dans l’injustice.
Assassins, miliciens ne sont jamais responsables puisque nés sur le terreau de la pauvreté, de l’exploitation, ils n’en sont que les produits.
Or, la culture de l’excuse est surtout une culture du mépris: croyant blanchir les coupables, elle les infantilise. Toute guerre, crime contre l’humanité chez les damnés de la terre est un peu de notre faute et doit nous inciter à expier sans fin le fait d’appartenir au bloc des nations opulentes. Vient un moment pourtant où les égarements de tels ou tels groupes, peuples ou États ne peuvent être imputés qu’à eux-mêmes et non pas rejetés sur la situation internationale, l’échange inégal, l’ultralibéralisme, que sais-je encore?
L’ami des opprimés fait preuve d’un paternalisme condescendant à l’égard de ses protégés: il leur interdit l’accès à l’autonomie, à la maturité puisqu’il ne les rend jamais responsables de leurs actes. Il se sert du tiers-monde, des Afghans, des Rwandais, des Palestiniens comme une massue pour taper sans relâche sur ses marottes: l’Occident pourri, les démocraties corrompues, le capitalisme ignominieux."
Ça fesse dans le dash, hein?
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Partout à travers le monde, la gauche est déchirée concernant une éventuelle intervention en Irak. On se questionne, on discute, on se chamaille. Aux États-Unis, le journaliste Christopher Hitchens, l’équipe du New Republic et le rédacteur en chef du New Yorker, David Remnick, se demandent si cette guerre n’est pas défendable d’un point de vue gauchiste. En France, c’est Alain Finkielkraut (Finkielkraut, bordel!) qui affirme que cette guerre est "moralement justifiée", bien que politiquement dangereuse.
Et ici, au Québec? Rien. La gauche québécoise est comme un banc de poissons, tricotée serré, bougeant toujours dans la même direction. Pas un échange, pas un doute, pas l’ombre d’un débat, rien. Un bloc de granit.
Dommage.
Personnellement, j’ai toujours associé la gauche à la discussion, aux remises en question, à la dialectique.
Pas au bêlement.