Ondes de choc

I want my S.U.V.

Le saviez-vous? Chaque fois qu’un propriétaire de jeep ou de mini-fourgonnette fait le plein à la station d’essence, il aide un groupe terroriste à transformer un avion de passagers en arme de destruction massive.

C’est du moins ce qu’affirment les spots publicitaires produits par le Detroit Project, un groupe de pression mis sur pied par la célèbre columnist américaine Arianna Huffington. La théorie du Detroit Project est simple: les États-Unis ne seront en sécurité que le jour où les citoyens du pays cesseront d’acheter du pétrole du Moyen-Orient. La meilleure façon de protéger les Américains, c’est de les amener à changer leurs habitudes de consommation énergétique, et à cesser d’envoyer des gonzillions de dollars à l’Arabie Saoudite.

Avant, on disait qu’il fallait diminuer notre consommation d’essence pour sauver la planète. Maintenant, on dit qu’il faut être écologiquement responsable pour éviter un autre World Trade Center. Deux messages, un même combat: lutter contre les méchants 4 x 4, qui mènent le monde à sa perte.

Remarquez, l’idée n’est pas bête. Les Américains ne peuvent pas, d’un côté, accuser l’Arabie Saoudite de financer des groupes terroristes, et, de l’autre, continuer d’enrichir ce pays en achetant massivement son pétrole. C’est ce qu’on appelle vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière.

Comme le disait Bill Maher, l’animateur de la défunte émission d’affaires publiques Politically Incorrect: les Américains devraient se faire une raison. Ou ils sont en guerre, ou ils ne sont pas en guerre. S’ils sont en guerre (comme leur président aime à le répéter), eh bien, ils devraient accepter de faire des sacrifices.

Vivre en état de guerre, ce n’est pas seulement faire péter des bombes téléguidées à des milliers de kilomètres de chez soi. C’est accepter de se serrer la ceinture. Consommer moins d’énergie, mettre l’épaule à la roue, faire passer le bien collectif avant son propre confort – bref, participer activement à l’effort de guerre. Comme le disait John F. Kennedy: "Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays."

Or, qu’est-ce que l’Américain moyen fait pour son pays, actuellement? Pas grand-chose. Il veut que le gouvernement et l’armée bottent le cul du Moyen-Orient, tout en continuant de rouler en 4 x 4 dans les rues de son village. Sa participation à la vie collective consiste à voter (parfois) et à payer ses impôts, that’s it, that’s all. Pour le reste, crissez-moi patience.

Contrairement à ce qu’ils croient, les Américains ont complètement perdu le sens du sacrifice. Ils sont confortables, égoïstes et indifférents. Cette indolence – et, surtout, ce refus catégorique d’endurer la moindre souffrance, même en temps de guerre – est la force principale des Ben Laden de ce monde.

Pensez-y. D’un côté, vous avez des banlieusards obèses qui protestent dès qu’on leur demande de diminuer un tant soit peu leur consommation d’essence, et qui pleurent dès qu’un des leurs tombe sur le champ de bataille. Et de l’autre, vous avez des jeunes sans espoir et sans avenir qui sont prêts à se faire sauter à la dynamite pour le bien de leur nation. Qui sont les plus dangereux, selon vous?

Les publicités du Detroit Project sont choquantes, bien sûr. Mais elles ont l’avantage de poser la bonne question: les Américains sont-ils prêts à sacrifier un peu de leur confort personnel pour le bien collectif? Ou ne pensent-ils (pour paraphraser Pierre Falardeau sur les Québécois) qu’au pH de leur piscine hors terre?

Poser la question, c’est un peu y répondre.

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Cela dit, pourquoi s’arrêter au pétrole? On pourrait prendre l’idée de base du Detroit Project et la pousser encore plus loin.

Chaque fois que vous achetez un jouet made in China, vous contribuez à terroriser le Tibet. Chaque fois que vous allez manger chez McDo, vous contribuez à bousiller le système agroalimentaire. Chaque fois que vous achetez du pot, vous engraissez les poches du crime organisé, etc.

Après tout, c’est ça, la mondialisation. Tout est lié. Tout nous salit les mains.