Êtes-vous allé chez un marchand de journaux la semaine dernière?
Le magazine Time titrait: "America the anxious". Le Newsweek: "Anxiety and your brain". Le New York Magazine: "Living with anxiety". Et Le Nouvel Observateur: "Vaincre l’anxiété".
Juste lire ça, ça m’a foutu la trouille.
Selon les journalistes du Newsweek, le nombre de consommateurs d’antidépresseurs a plus que doublé au cours des cinq dernières années. Les Nord-Américains (et les Européens, à en croire Le Nouvel Obs) sont littéralement morts de peur. Ils ont peur de tout: que des terroristes fassent sauter leur bureau, qu’un ouragan détruise leur maison, que des pédophiles kidnappent leurs enfants, que la Bourse s’effondre, que le prix de l’essence grimpe en flèche…
Il faut dire que les médias nourrissent notre anxiété à fond la caisse. Comme l’affirme le chanteur Marilyn Manson dans le documentaire Bowling for Columbine, la télé est une machine à créer la peur. Du matin jusqu’au soir, on y brosse un portrait hyper-pessimiste du monde. Des pédophiles se cachent derrière chaque buisson! Des motards sans foi ni loi infiltrent la police! Des abeilles empoisonnées foncent sur Manhattan!
Peu importe que le risque de vous faire piquer par une abeille meurtrière soit de 1 sur 2 500 000. Chaque 15 minutes, on ouvrira le bulletin de nouvelles sur une image paniquante d’une grosse bibitte à poils qui s’apprête à tuer votre enfant, votre épouse, votre grand-mère. Vite, vite, cachez-vous dans le sous-sol! Barricadez vos portes et collez du duct tape dans vos fenêtres! Elles arrivent, elles sont là!
Un jour, c’est le virus du Nil. Le lendemain, ce sont les rayons ultraviolets du soleil. Sans oublier les croustilles qui donnent le cancer, le lait qui bousille votre système digestif, l’eau contaminée, l’air vicié, le poulet bourré d’hormones…
Heureusement, il y a les pubs. C’est la base même du système capitaliste: les journalistes font peur, les marchands rassurent. Gobez notre comprimé, nous n’aurez plus mal à la tête. Essayez notre crème, vous rajeunirez de 15 ans. Conduisez notre bolide, vous vous sentirez plus libre et plus léger. Buvez notre bière, et vous serez transporté dans un monde surréel où toutes les filles sont belles et tous les gars sont riches…
La réalité étouffe, mais la consommation libère. C’est le pas de deux télévisuel. Ils te frappent sur la tête, nous mettons un baume sur tes blessures.
Good cop, bad cop.
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Dans sa présente édition, le magazine américain Harper’s consacre un long reportage à la fin du monde.
Vous ne le savez peut-être pas, mais lorsque la Terre tourne autour du Soleil, elle croise 20 millions d’astéroïdes. Sur ces 20 millions, mille ont un kilomètre ou plus de diamètre.
Savez-vous ce qui arriverait si un astéroïde de cette grosseur frappait notre planète? On ne pourrait plus voir le soleil pendant plusieurs années. Les forêts mourraient, des précipitations monstres de pluies acides empoisonneraient les océans, un raz-de-marée aussi haut que la mer est profonde frapperait nos villes, la population humaine ferait face à la plus grande famine de son histoire, ce qui causerait probablement des guerres civiles, et…
Vous voulez que j’arrête? Vous avez assez peur?
Pas étonnant que nous soyons tous plus ou moins accros à quelque chose, que ce soit le cul, le chocolat, la dope, les médicaments, l’amour ou le travail. Nous avons la trouille.
Nous avons peur de tout, même de notre ombre.
Nous avons développé une vision complètement capotée du monde, remplie de dictateurs sanguinaires, de terroristes illuminés, de politiciens corrompus, de capitalistes sauvages, d’anarchistes enragés et de tueurs en série…
Vous connaissez la loi de Murphy? "Tout ce qui peut aller mal ira mal…" Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai parfois l’impression que la loi de Murphy gouverne l’univers.
"Pour sortir de la terreur, il faut pouvoir réfléchir et agir suivant sa réflexion, écrivait Camus. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion."
C’est la loi de la saucisse à l’envers. Plus on a peur, moins on réfléchit. Et moins on réfléchit, plus on a peur.
Belle époque…