Connaissez-vous la compagnie Adelphia?
Il s’agit d’un important câblodistributeur américain. Il y a un peu plus de six mois, Adelphia envoyait une lettre à ses clients afin de les avertir que le coût de leur abonnement mensuel au câble allait augmenter. "Cette augmentation est imputable à la hausse des frais d’exploitation de l’entreprise, tels que la masse salariale et la formation des employés", d’expliquer la lettre.
Pendant qu’Adelphia affirmait sans rougir que ses modestes travailleurs étaient responsables de la hausse des coûts d’abonnement, le président-directeur général de l’entreprise, John Rigas, empruntait 3,1 milliards de dollars à la compagnie. Il utilisa ces quelques sous pour se faire construire un terrain de golf dans sa cour (13 millions $), pour acheter les Sabres de Buffalo (150 millions $), pour fonder une entreprise qu’il a donnée en cadeau à son beau-fils (65 millions $), pour réparer ses trois jets privés et pour devenir membre d’un club hyper-sélect (700 000 $).
Comme l’affirma plus tard une cliente d’Adelphia: "Le plus étonnant dans tout ça, c’est que ma facture de câble n’ait pas augmenté d’un million de dollars par mois."
Le sentiment de justice est la pierre angulaire de toute société, sa base, son socle. Les gens acceptent d’obéir aux règles qu’on leur impose tant et aussi longtemps qu’ils croient que ces règles s’appliquent à tout le monde. Enlevez-leur toute raison de croire au sacro-saint principe d’égalité, et vous vous retrouvez au bord de l’anarchie.
C’est ce qui arrive présentement. Les gens n’ont pas l’impression de se faire fourrer; ils savent qu’ils se font fourrer. Chaque jour, la réalité leur offre une raison supplémentaire de se méfier.
Dans Pigs at the Trough, un pamphlet incendiaire qu’elle vient de publier aux éditions Crown, la columnist américaine Arianna Huffington pourfend la cupidité monstrueuse des pdg des grosses entreprises. Selon elle, la corruption est en train de saper les bases morales de la société américaine, rien de moins.
Vous voulez des exemples?
Prenez le cas de Dennis Kozlowski, le grand patron de Tyco. Les malversations et les mauvaises décisions de Kozlowski ont fait perdre 92 milliards de dollars aux actionnaires de cette compagnie. Cela n’a pourtant pas empêché le fautif d’avoir du bon temps. Un mois après que les nombreuses fraudes commises par Kozlowski furent rendues publiques, le pdg de Tyco décida d’organiser un party monstre dans sa magnifique demeure à Nantucket. Il engagea des gardiens de sécurité pour protéger les grands crus qu’il avait fait venir pour l’occasion. Il invita ses amis dans le plus grand restaurant de l’île. Et il leur fit visiter son superbe yacht. (Juste pour vous donner une idée du bateau: la location du quai où est amarré le yacht de monsieur Kozlowski coûte à elle seule 1,5 million de dollars par année. Bref, c’est une maudite belle chaloupe.)
Ou prenez le cas de Jacques Nasser. Cet administrateur a dirigé l’empire Ford pendant 34 mois. Sous son règne, la valeur des actions de Ford a piqué du nez et 35 000 travailleurs se sont retrouvés sur la paille. Or, lorsque monsieur Nasser a été forcé de remettre sa démission, on l’a récompensé en lui offrant un portefeuille d’actions valant plusieurs millions de dollars.
Idem pour Jack Welch, l’ex-pdg de General Electric, qui s’est fait offrir un joli jet privé après avoir quitté l’entreprise en disgrâce.
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Je vous parlais de l’empire Quebecor, la semaine dernière. Comment PKP utilise ses nombreuses compagnies (Vidéotron, TVA, Le Journal de Montréal, CKAC, les journaux à potins, Archambault, etc.) pour faire mousser ses produits et intoxiquer les consommateurs.
Or, grâce à qui le monsieur a-t-il autant de pouvoir? Grâce entre autres à la Caisse de dépôt, qui a investi près de trois milliards de dollars dans Quebecor Média.
La Caisse de dépôt, en passant, c’est vous et moi.
Alors chaque fois que vous voyez les nombreuses entreprises de Quebecor s’autoploguer jusqu’à l’indécence, dites-vous qu’il y a un petit peu de nous autres là-dedans.
C’est ça, le fameux modèle québécois. L’État qui permet aux gros de ce monde de devenir encore plus gros. Et de contourner les règles élémentaires de notre société.
Hip, hip, hip! Hourra!