Il y a des livres qui s’avèrent prophétiques. C’est le cas de The End of the American Era, un bouquin sorti dans les librairies il y a quelques mois, dans l’indifférence quasi générale.
Pourtant, il s’agit d’un ouvrage extrêmement important.
Dans cet essai passionnant, Charles A. Kupchan, professeur de politique internationale à l’Université de Georgetown, annonce le déclin de l’empire américain. "Le temps où les États-Unis polissaient le monde et n’en faisaient qu’à leur tête tire à sa fin, dit-il en substance. Les États-Unis devront maintenant apprendre à partager le pouvoir avec un autre joueur important: la communauté européenne. Terminée, l’époque où l’Oncle Sam faisait cavalier seul. Les Américains devront apprendre dialoguer, à faire des compromis, et à se faire critiquer par leurs partenaires économiques."
C’est ce qui arrive aujourd’hui. George W. Bush croyait qu’il suffisait de sortir son sabre de son fourreau et de brandir le fantôme de Saddam Hussein pour mettre le monde libre dans sa poche. Or, à sa grande surprise, ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. Non seulement l’Europe (en particulier la France et l’Allemagne) a-t-elle fait la fine bouche devant les visées militaires de Bush fils, mais elle a même pris l’Amérique de front en clamant haut et fort son désaccord!
Pas étonnant que les Américains crient à la trahison et bannissent les french fries: ils ne sont pas habitués de se faire dire Non. Depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, les Yankees sont les seuls maîtres à bord. Ce sont eux qui dirigent le monde. Or, aujourd’hui, ils se rendent compte que la situation a changé. Bobonne (c’est-à-dire l’Europe) ne se contentera plus de passer le balai et de préparer servilement les repas pendant que Monsieur joue à Risk et brasse de grosses affaires. Elle veut avoir son mot à dire, et participer activement aux prises de décisions.
En fait, on pourrait dire qu’il arrive aux États-Unis ce qui est arrivé aux mâles nord-américains il y a une quarantaine d’années.
Dans les années 50 et 60, les beatniks et les hippies prônaient l’amour libre. Or, pour baiser à gauche et à droite, il faut des femmes sexuellement actives. On a donc fait la promotion de la sexualité féminine. "La femme moderne, disait-on, est une femme qui assume pleinement son désir, et qui n’a pas peur de se foutre à poil sur les pages d’un magazine."
L’idée a fait son chemin. Les femmes se sont mises à brûler publiquement leur soutien-gorge, et à réclamer, elles aussi, le droit à l’orgasme. Mais ce que les hommes n’avaient pas prévu, c’est qu’en ouvrant ainsi la porte à la révolution sexuelle, ils ouvraient la porte à d’autres bouleversements sociaux autrement plus importants. Les femmes ne se sont pas contentées de s’émanciper sexuellement, elles ont aussi voulu s’émanciper socialement, et brûler le corset idéologique qui les retenait captives.
Eh bien, c’est ce qui se passe actuellement avec les États-Unis.
Depuis vingt ans, le gouvernement américain n’a qu’un mot à la bouche: mondialisation. Mondialisation par-ci, mondialisation par-là, point de salut hors de la mondialisation. Au début, la mondialisation (comme la révolution sexuelle pour les hommes) était un concept hyper égoïste: les États-Unis voulaient que les nations de la Terre leur ouvrent leurs portes pour faire plus d’argent, that’s it, that’s all. La mondialisation, pour les USA, était d’abord et avant tout un concept à sens unique: nous vendons, vous achetez.
Mais la créature qu’ils ont mise au monde s’est échappée du laboratoire. En fait, on pourrait dire que les États-Unis ont été victimes de leur propre succès!
Aujourd’hui, les partenaires des Américains ne se contentent plus d’être des clients serviles et silencieux: ils veulent vendre, dialoguer, décider. Finie, l’époque où l’Europe ne servait qu’à faire bander l’économie des USA. La poupée gonflable veut maintenant avoir droit de parole et voix au chapitre.
Au début, les hommes ont mal réagi face aux demandes des femmes. Mais ils ont fini par s’adapter. La même chose va se passer sur le plan politique. Actuellement, les USA grimpent dans les rideaux. Mais ils devront s’adapter.
De toute façon, ils n’auront pas le choix.