Le maire de Montréal a demandé à Wilfred, le gagnant de Star Académie, de venir signer le livre d’or de la Ville.
Pensez à ça deux secondes.
Demander de signer le livre d’or de la Ville est l’un des plus grands honneurs que l’on puisse faire à un citoyen. Plus honoré que ça, le maire s’agenouille et vous taille une pipe.
Or, pourquoi Gérald Tremblay a-t-il fait cet honneur à Wilfred?
Pas parce qu’il s’est conduit en héros. Pas parce qu’il a inventé un vaccin. Pas parce qu’il a décroché une médaille d’or aux Olympiques ou qu’il a remporté le prestigieux Booker Prize.
Parce qu’il a remporté un concours d’amateurs provincial. Une sorte de Talents Catelli high-tech.
Prenez une minute de votre temps, et pensez à toutes les implications de ce geste.
Pour Bernard Lord, l’ineffable premier ministre du Nouveau-Brunswick, Wilfred est un trésor national.
Un trésor national. Comme Michel Tremblay ou Félix Leclerc.
Ciboire, sommes-nous tous tombés sur la tête?
Que trois millions de personnes aient regardé cette émission est une chose. Mais que des politiciens embarquent dans ce cirque pour se faire du capital de sympathie est proprement obscène. La preuve par A + B que ces gens seraient prêts à faire n’importe quoi pour gagner un vote. Serrer la patte à Edgar le cochon ou se faire photographier aux côtés du Grand Antonio.
Je l’ai dit et le répète: Star Académie n’est pas une émission de télévision. Ce n’est même pas un concours. C’est un prototype. Pierre Karl Péladeau s’est servi de l’émission de sa blonde pour tester jusqu’où il pouvait pousser le concept de convergence.
Comme les États-Unis, qui se servent de la guerre du Golfe pour tester leurs nouveaux gadgets militaires, PKP se sert de Star Académie pour déployer sa nouvelle arme publicitaire.
J’hallucine? À peine.
À côté d’où j’habite, il y a un Superclub Vidéotron. Il y a quelques semaines, je me suis rendu compte que tous les employés du club portaient un t-shirt Star Académie. Je m’approche d’une employée. "C’est toi qui as décidé de porter ce t-shirt?" que je lui demande. La fille me regarde avec des éclairs dans les yeux. "Penses-tu vraiment que je me promènerais avec ça sur le dos? On est tous obligés de porter le t-shirt. Non seulement ça, mais chaque fois que l’émission Star Académie est diffusée, on est obligé d’ouvrir les télés qui sont accrochées un peu partout dans le club et de syntoniser TVA."
Parlez-moi d’une belle collaboration!
(En passant, Voir et Hour ont déjà été disponibles dans cette succursale du Superclub Vidéotron. Mais depuis quelque temps, on ne retrouve que The Mirror et Ici dans les présentoirs. Pourquoi? Parce que ces deux hebdomadaires appartiennent à Quebecor, et qu’on a décidé de sortir la compétition du commerce afin de privilégier les produits maison.)
Même resserrement des troupes du côté d’Archambault, le disquaire situé à côté de la Place des Arts. L’autre jour, les employés de cette succursale portaient des cartons Star Académie autour du cou. Pas l’OSM ou l’Opéra de Montréal: Star Académie. Là encore, il s’agit d’un ordre venu d’en haut.
Pas étonnant que trois millions de personnes aient regardé l’émission. Même Le Jour du Seigneur aurait fait fondre l’audimat avec une telle machine publicitaire!
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Grâce à Star Académie, donc, le Québec a une nouvelle coqueluche: Wilfred Le Bouthillier.
Le jeune Néo-Brunswickois, qui a remporté la palme en interprétant un tube de Zachary Richard (Jean Batailleur) et un succès de Jacques Michel (Pas besoin), ira rejoindre la longue cohorte des chanteurs à voix qui, chaque mois, montent dans l’autobus du show-business québécois.
Tout ce qu’on peut lui souhaiter, c’est qu’il se trouve un répertoire au plus vite. Car des chanteurs sans répertoire, il y en a des tonnes au Québec.
Depuis l’ouverture de l’usine Plamondon, la plus grosse fabrique de cordes vocales au monde, le Québec est devenu le paradis des chanteurs sans chansons. Des voix hyper-puissantes qui interprètent des chansons super-plates.
C’est pour cette raison que l’on présente tant de comédies musicales au Québec. Il faut bien trouver du boulot à tout ce beau monde! Comme ça, s’ils ne savent pas quoi chanter, ils peuvent toujours répéter les mots de Victor Hugo, de Shakespeare ou de Saint-Ex.