Il y a deux semaines, j’ai assisté au spectacle d’un jeune auteur-compositeur-interprète, au Cabaret. La musique était superbe, le chanteur avait un charisme fou, tout le monde dansait; bref, c’était extra. Mais pour le chanteur, ce n’était pas assez. Il manquait un petit quelque chose, il fallait ajouter un ingrédient supplémentaire pour faire lever le public et réchauffer la salle.
Alors le gars s’est mis à haranguer George W. Bush.
J’ai eu l’impression qu’un mauvais fêtard venait de débrancher la console de son.
Comprenez-moi bien: je n’ai rien contre les artistes qui prennent position, bien au contraire. Mais pourquoi toujours cogner sur le même clou?
Il y a, en ce moment, des dizaines de conflits armés à travers le monde. La Russie commet des atrocités en Tchétchénie, la Chine opprime le peuple tibétain, une guerre civile déchire la Sierra Leone, l’Éthiopie et l’Érythrée sont au bord de l’explosion, le gouvernement de Côte-d’Ivoire écrase les opposants au régime, etc. La guerre civile au Soudan a fait un million et demi de morts; la guerre civile au Mozambique, un million de victimes, et ainsi de suite.
À ce que je sache, les États-Unis ne sont pas le seul pays en guerre. Le monde est témoin de massacres autrement plus dégueulasses que ce qui se déroule actuellement en Irak. Des massacres horribles, qui visent spécifiquement des populations civiles.
Pourtant, on n’en entend jamais parler. Pas l’ombre d’un artiste pour dénoncer les crimes de Vladimir Poutine ou ceux du premier ministre chinois. Avons-nous marché dans les rues lorsque Saddam Hussein a lancé des gaz toxiques sur la population kurde? Non. On s’en crissait comme de l’an 40. Les populations d’Afrique peuvent s’entretuer à coups de machette, la Colombie peut être à feu et à sang, le Sri Lanka peut sombrer dans la démence, les tanks chinois peuvent écraser le Tibet et l’armée irakienne peut envahir le Koweït, on ne lève pas le petit doigt. Mais lorsque l’Oncle Sam part en guerre, c’est la levée de boucliers, et l’Union des artistes au grand complet descend dans la rue.
Pourquoi cette indignation sélective? Je ne sais pas. C’est probablement un héritage des années 60.
Gueuler contre les Américains, c’est cool. C’est comme se teindre les cheveux ou se faire percer la langue. Ce n’est pas tant une prise de position qu’un fashion statement.
Je brûle le drapeau américain, donc je suis hip.
Quant au reste du monde, il peut courir à sa perte, je m’en fous. De toute façon, qui connaît le drapeau de la Colombie ou le nom du premier ministre du Burundi? Alors que rire de George W. Bush, c’est tellement plus drôle, tellement plus in…
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Parlant d’artistes qui prennent position…
Au tout début de son plus récent spectacle, Michel Rivard arrive sur seul sur scène et chante Le Déserteur de Boris Vian. Ensuite, il va s’asseoir sur son petit tabouret, et entonne ses plus grands succès.
Ce sera sa seule sortie à saveur politique de la soirée. Rivard ne dira pas un mot de plus sur le sujet. Aucune blague démagogique, aucune montée de lait facile…
Le geste est simple, émouvant et diablement efficace. Et il ne vise pas que les "méchants Américains". Il vise la guerre, toutes les guerres.
Un chanteur qui dénonce les conflits armés en utilisant ce qu’il connaît le mieux: la chanson. C’est ce qu’on appelle avoir de la classe.
Seuls les grands peuvent agir aussi humblement.
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Une note en terminant pour vous parler des Respectables. Je suis allé les voir, vendredi dernier, au Spectrum. Quel show jouissif! Quelle maîtrise de la scène! Quel beau party! J’étais littéralement sur le cul…
Visiblement, ce groupe a du métier dans le corps. Les membres des Respectables ne sont pas des vedettes instantanées ayant été créées de toutes pièces par une émission de télé destinée à vendre de la pub, des magazines et des abonnements au câble. Ils ont bossé pendant 12 ans, joué dans des bars minables, appris sur le tas.
Malgré cela, on m’a dit que les billets pour leur spectacle ne s’étaient pas vendus. Alors que les vedettes de Star Académie, elles, remplissent le Centre Bell et vendent 500 000 CD.
Maudit que le monde me décourage, parfois…