"Un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet."
– Marek Halter, écrivain polonais
Le cinéma est un art extrêmement puissant. Certains films touchent tellement les gens qu’ils finissent par devenir des objets de culte.
C’est le cas de The Matrix. Cette superproduction des frères Andy et Larry Wachowski n’est pas qu’un simple film; c’est un phénomène culturel. Pour certains, c’est même une religion. À Houston, un révérend utilise The Matrix pour transmettre la Bonne Nouvelle à ses fidèles.
Qu’est-ce qui touche tant les gens dans ce film? Probablement l’idée de départ, à savoir que ce que nous percevons comme la réalité n’est en fait qu’un immense rêve créé par ordinateur, une sorte de vaste programme informatique qui a pris le contrôle de nos facultés sensorielles.
L’homme, nous dit The Matrix, ne vit pas: il rêve. L’être humain est complètement coupé de la réalité. Comme le héros de La Caverne de Platon, il croit que les ombres qui s’agitent devant ses yeux sont des objets réels.
N’est-ce pas ce que nous ressentons tous, à divers degrés?
Il y a quelques années, on disait que le XXIe siècle serait celui de la société du loisir. Or, nous nous sommes trompés de mot. Nous ne subissons pas la dictature du loisir, mais celle de l’image, de l’artificialité. Nous vivons dans un gros rêve collectif, créé de toutes pièces par des méga-corporations comme Disney, Time Warner et Quebecor.
Je ne veux pas faire de la philosophie à cinq sous, mais je suis convaincu que cette vague impression d’irréalité explique en grande partie le succès des reality shows. Comme le héros du film The Truman Show, qui habitait un plateau de télé géant, nous avons le sentiment étrange que nous avons complètement perdu contact avec la vraie vie. Tout, autour de nous, semble faux. À force de regarder des films, nous en sommes venus à prendre la fiction pour la réalité. Nous nous habillons comme nos personnages de fiction favoris, nous parlons comme eux, adoptons leur posture. Lorsque nous allons en France, ce n’est pas Paris que nous voulons voir, mais le Montmartre d’Amélie Poulain, avec ses rues en carton et ses cafés-décors. Ce n’est plus le cinéma qui s’inspire de la vie, mais la vie qui s’inspire du cinéma…
Résultat: nous étouffons sous le poids de nos rêves. Alors, de temps en temps, nous nous tapons un reality show pour sortir de notre prison dorée et nous reconnecter avec le vrai monde.
L’ironie, bien sûr, est que les reality shows n’ont rien à voir avec la réalité. Ils appartiennent au monde du spectacle. Ce n’est pas la réalité, c’est un simulacre de réalité, comme la fameuse reconstitution de Venise à Las Vegas.
Regarder un reality show, c’est comme s’aérer les poumons en se promenant dans une forêt en plastique…
Cette contradiction est à la base même du film des frères Wachowski. D’un côté, les réalisateurs de The Matrix nous disent que l’homme doit se réveiller, et cesser de prendre ses rêves pour la réalité. Mais de l’autre, qu’est-ce que The Matrix, sinon la toute dernière illusion de Hollywood? Ce film ne participe pas à nous réveiller, au contraire: il participe à nous endormir. C’est un gros rêve corporatif créé à coups de millions de dollars pour vendre des livres, des t-shirts et des jeux vidéo.
On croit s’échapper, en regardant The Matrix. Mais en fait, ce film nous enfonce encore plus profondément dans le rêve.
On reconnaît la contradiction fondamentale de la société marchande. Les publicitaires ne cessent de nous répéter: "Achetez ce produit, il vous libérera." Mais pour acheter ledit produit, il faut travailler, donc s’enchaîner encore plus…
Qui sait? La véritable libération passe peut-être par le corps. Dans la plus belle scène de The Matrix Relaoded, des milliers d’humains libérés célèbrent leur amour de la vie par un rave sensuel. Ils ne regardent pas passivement des images: ils dansent, se touchent, se caressent, pendant que Neo et Trinity font l’amour…
La révolution par le sexe? Pourquoi pas! Après tout, c’est ce que disaient les militants de mai 68: "Baisez-vous les uns les autres sinon ils vous baiseront."