L’année dernière, dans le cadre de cette chronique, j’ai inauguré un petit jeu, intitulé Le Jeu de la morale. Le but était simple: je vous raconte une histoire qui pose un problème moral, et je vous demande de prendre position.
Par exemple: les services de contre-espionnage canadiens arrêtent un terroriste. Ils savent que cet homme vient de planter une bombe dans un endroit public, mais ils ne savent pas QUEL endroit public. Ont-ils le droit de le torturer pour savoir où il a caché sa bombe? La torture peut-elle être moralement justifiable dans certains contextes? A-t-on le droit de tuer une personne pour en sauver mille?
Autre question: vous êtes un flic undercover, et vous infiltrez une organisation criminelle. Mais pour gagner la confiance des bandits sur qui vous enquêtez, et prouver que vous êtes un des leurs, vous devez commettre des vols, vendre de la drogue, etc. Ces actes sont-ils justifiables? Est-ce moral d’enfreindre la loi pour coffrer des gens qui enfreignent la loi?
Bref, vous voyez le genre.
Eh bien, après un long hiatus, j’ai décidé de ressusciter ce petit jeu. La question de cette semaine traite d’économie mondiale. Plus particulièrement, des dettes imposantes contractées par certaines dictatures.
La semaine dernière, dans Courrier international, on apprenait que l’Irak devait une somme considérable à l’Union soviétique. Or, le régime de Saddam Hussein vient d’être renversé. L’Union soviétique devrait-elle effacer cette dette, ou est-elle en droit de demander aux Irakiens de se serrer la ceinture pour les 50 prochaines années afin de payer les dettes contractées par leur ancien dictateur?
On sait que les États-Unis, eux, n’annulent pas les dettes des dictatures. Le dictateur bolivien Hugo Banzer Suarez et le dictateur chilien Augusto Pinochet, par exemple, ont tous deux emprunté beaucoup d’argent aux États-Unis (sans jamais demander la permission à leurs électeurs). Or, lorsque leur régime est tombé, les USA n’ont pas passé l’éponge. Ils ont demandé aux nouveaux gouvernements de la Bolivie et du Chili de respecter leurs vieilles dettes et d’effectuer leurs paiements aux dates prévues. Même si, pour cela, ils devaient lourdement hypothéquer les générations futures.
La question, on le voit, est éminemment complexe.
Pour mieux la mettre en perspective, transposons-la sur un plan personnel.
Votre père est complètement fou. Il veut transformer sa maison en château rococo, et rêve de se faire installer un système de sécurité valant des dizaines de milliers de dollars. Pour réaliser ses fantasmes, il emprunte 300 000 $ à la banque. Mais, un an plus tard, le bonhomme pète un anévrisme, et passe l’arme à gauche. Devez-vous rembourser la somme qu’il a empruntée de son vivant, même s’il n’avait visiblement pas toute sa tête? Êtes-vous responsable des actes qu’il a commis sous l’emprise de la folie?
Peut-on demander aux Irakiens (ou aux Roumains, ou aux Haïtiens, ou aux Russes) de payer pour les dépenses capotées effectuées par leurs ex-dictateurs – dépenses, soulignons-le, qui n’ont jamais été approuvées par aucun représentant du peuple?
D’un autre côté, une dette, c’est une dette. Si tout le monde commençait à vouloir effacer ses dettes et à passer l’éponge sur son ardoise, la machine s’enrayerait.
Alors je vous pose la question: les pays démocratiques devraient-ils effacer les dettes colossales contractées par les régimes dictatoriaux? Ou participe-t-on à déresponsabiliser ces pays en agissant de la sorte?
Vous pouvez nous répondre par courrier, ou en visitant notre site Internet. Les prochaines éditions du Jeu de la morale vous reviendront à intervalles réguliers.
Promis, juré.
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Cela dit, on peut aussi poser la question sous un autre angle, tout aussi intéressant, sinon plus.
Est-ce éthique de prêter de l’argent à un dictateur, alors qu’on sait fort bien qu’il utilisera cette somme pour se construire des milliers de statues en marbre à son effigie? Devrait-on interdire ce genre de transactions financières?
Si l’on fait une enquête de crédit chaque fois qu’un simple citoyen effectue une demande d’emprunt pour réparer son cabanon, pourquoi n’agirait-on pas de la sorte pour des leaders politiques?
Je pose la question. À vous d’y répondre.