Ondes de choc

La simplicité volontaire

Pssst! Vous avez deux minutes? J’ai un terrible secret à vous confier concernant Jean Chrétien.

Le premier ministre du Canada est un homme cultivé.

Choquant, hein? Mais de grâce, ne le dites à personne, car cela pourrait ternir sa réputation…

Ce secret, ce n’est pas moi qui l’ai dévoilé, mais Vincent Marissal, journaliste à La Presse. Samedi dernier, Marissal publiait une entrevue que lui a accordée le premier ministre sortant.

"Il y a deux Jean Chrétien, pouvait-on lire. La chose frappe chaque fois qu’on a l’occasion de s’asseoir en privé avec lui. Il y a le Jean Chrétien devant les caméras de télé, qui bafouille, bute sur chaque mot de plus de deux syllabes. Puis il y a le Jean Chrétien en privé, qui parle avec aisance, avec verve et verbes comme un ancien élève des Jésuites."

Et Jean Chrétien de dire: "Je suis victime de mon personnage populiste. Ça enrage mes soeurs qui vivent à Outremont de m’entendre parler comme je parle. Mais si je parlais trop bien, je ne gagnerais pas mes élections."

Pas mal, non?

Le soir même de la publication de ce texte, je vais manger à un petit resto afghan de la rue Duluth. Je me rends compte que je suis assis à côté d’un spécialiste en éducation que j’ai déjà interviewé il y a quelques années dans le cadre d’un reportage sur l’organisme Mensa, le club social des bollés avec un gros QI. Cet homme a toujours critiqué le système d’éducation québécois qui, dit-il, marginalise les élèves qui réussissent trop bien. Dans les classes, on met tout le monde au diapason de l’élève qui a les pires notes au lieu de viser l’excellence, m’a-t-il déjà dit. L’élève qui traîne de la patte a droit à toutes sortes de ressources pour lui venir en aide, alors que celui qui a le malheur d’être doué est laissé à lui-même, et s’ennuie à mourir.

Ma blonde lui demande alors s’il a lu l’entrevue que Jean Chrétien a accordée à La Presse.

"Bien sûr, de dire l’homme. Et vous savez c’est quoi le pire? Le premier ministre a raison. S’il parlait trop bien, il ne gagnerait pas ses élections. C’est un fin renard, qui connaît parfaitement ses électeurs…"

Un de mes amis a déjà travaillé comme recherchiste pour Gregory Charles lorsque celui-ci animait Chabada à TVA. Il m’a dit que les boss de Gregory Charles lui reprochaient souvent d’utiliser un langage trop châtié. "N’utilise pas des mots de plus de trois syllabes, lui répétait-on, car les téléspectateurs ne comprendront plus rien. Il faut rester simple, abordable…"

La simplicité. Voilà le mot-clé pour comprendre le Québec. Ici, tout doit être simple, drôle, à la bonne franquette. Un petit accent français, un langage un peu trop recherché, et l’on vous traite de snob.

Il y a deux jours, j’ai entendu une histoire absolument hallucinante. Un auteur dont je tairai le nom a écrit la biographie d’un personnage célèbre. Le manuscrit qu’il a remis à l’éditeur était impeccable, sauf un petite erreur: le livre était trop bien écrit. "Ça va nous coûter des lecteurs, lui a-t-on dit. Réécris-le pour qu’il soit plus populaire."

Alors l’auteur a repris son manuscrit et l’a retouché pour qu’il soit un peu plus mal écrit!!!! Résultat: son livre a été un best-seller.

Dieu que ce pays me décourage… Dire que nous passons notre temps à rire du manque de culture des Américains. Et notre manque de culture à nous? Vous en connaissez plusieurs, vous, des pays où l’intelligence et la culture sont aussi suspectes? Où les gens qui parlent bien doivent jouer les abrutis et les incultes pour gagner la faveur du public?

Ici, si par malheur vous lisez un livre d’Albert Camus, vous devez le glisser dans une jaquette de Harry Potter pour ne pas faire rire de vous… Quant à ceux qui aiment la musique classique, n’en parlons pas: ce sont des pestiférés. Tout juste s’ils ne se rencontrent pas dans des caves, à la tombée du jour, comme les résistants lors de l’Occupation.

D’ailleurs, la formule convient bien. Nous vivons effectivement dans un pays occupé. Occupé par la bêtise, la facilité et l’ignorance.

Aux livres, citoyens, et résistons! Si nous nous mettons tous ensemble, nous pourrons faire de ce pays un plusse meilleur endroit où vivre, cibolak!