Richard, tu as été invité à participer au défilé de la Fierté gaie, le 3 août prochain, à titre de "sympathisant hétéro". Tu y vas ou pas?
Lorsqu’on m’a invité, il y a quelques semaines, j’ai tout de suite dit oui. Mais aujourd’hui, j’ai des doutes. Il n’y a rien que je déteste plus que de me sentir obligé d’accepter une invitation; de dire oui sous la menace. J’ai accepté de participer à ce défilé de mon plein gré. Mais si je sens qu’on m’y force, je vais me rebiffer. On ne peut pas, d’un côté, demander: "Seriez-vous assez gentil d’accepter notre invitation?", et de l’autre, ajouter: "Si vous refusez, nous allons vous punir…" Participer à un défilé, pour moi, c’est comme appuyer une cause. Si j’appuie une cause, c’est parce que je le désire, parce que cette cause me tient à coeur, et non parce qu’on m’y force. Il n’y a rien de mieux pour me faire débander que de me mettre un revolver sur la tempe…
Et c’est quoi, cette cause? La ghettoïsation des gais? Pourquoi serait-on fier d’être gai? Es-tu fier d’être droitier, toi, ou d’avoir les yeux bruns? Pourquoi célébrerait-on la fierté d’être gai ou d’être bisexuel? On peut être fier d’un accomplissement, pas d’une orientation sexuelle… Les gais ont toujours dit qu’on ne choisissait pas son orientation sexuelle. Pourquoi serait-on fier de quelque chose qui échappe à notre bon vouloir?
T’as raison, l’orientation sexuelle ne devrait en aucun cas être une source de fierté. De même, on ne peut pas, d’un côté, lutter contre la ghettoïsation et, de l’autre, se construire un village à notre image. Il y a quelque chose de contradictoire là-dedans. On ne peut pas lutter contre l’exclusion tout en célébrant sa différence, c’est complètement absurde… Comme l’a écrit l’écrivain noir Shelby Steele: "Quand on célèbre la différence au lieu de simplement la remarquer, on encourage les gens à mettre l’accent sur la différence." Et puis, le côté freak show du défilé me dérange terriblement. Les petites familles de banlieue vont voir les gais comme ils vont voir les singes au Parc safari d’Hemmingford. Ils apportent leur glacière et leurs chaises pliantes, et ils regardent les fifis se faire aller sur des tounes de Dalida… En quoi ça aide la cause des homosexuels, ça?
Alors je reviens à ma première question. Pourquoi as-tu décidé de participer au défilé?
Parce qu’indépendamment de ça, il y a une chose qui me tient à coeur: dire que ça prend toute sorte de monde pour faire un monde. Affirmer haut et fort (en prenant part à un défilé, et pas seulement en signant mon nom au bas d’une pétition) que je trouve ça correct de voir deux gars ou deux filles s’embrasser. Que ça ne me choque pas, que ça ne me scandalise pas. Lutter contre les tabous, célébrer l’aspect bordélique du monde. "Different stokes for different folks…" Et puis, c’est aussi un prétexte pour organiser un méchant party! Une raison de plus pour bloquer une rue.
Mais pourquoi organiser un défilé strictement gai? Pourquoi pas un défilé pro-sexe, pro-liberté, pro-plaisir?
Tout à fait raison. Ce sera, je l’espère, la prochaine étape. Des gais, des hétéros, des bisexuels et des transsexuels, tous réunis pour célébrer le plaisir et la liberté. Comme le gros rave dans Matrix Reloaded. Un gros défilé anti-tabous. L’amour chez les handicapés, les personnes âgées, les gais, les hétéros. Et chez les prêtres, maudit, pourquoi pas? Un gros Love Fest, en plein milieu de l’été, pour chanter notre bonheur de vivre et notre ouverture aux autres… Mais ça, ce sera lorsqu’on aura atteint une véritable égalité. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas. Il y a encore des comédiens qui ne veulent pas dévoiler leur orientation, de peur de perdre des contrats. Penses-tu vraiment qu’une brasserie accepterait de s’associer à un porte-parole ouvertement gai? Ben voyons… C’est pour ça que même si j’ai d’énormes réserves sur le défilé, et même si la délation me lève le coeur, j’y serai. De gaieté de coeur.