Il y a trois semaines, j’ai passé quelques jours en France. Rien de mieux qu’une petite plongée dans la mère patrie pour retomber en amour avec notre langue.
Par exemple, savez-vous comment on appelle un nettoyeur, à Paris? Un pressing.
Une compilation est un best of.
Un DVD de collection, un DVD collector.
Et un centre sportif, un fitness center ou un sporting club.
Pendant que j’étais dans la Ville lumière, Shanghai Knights, le dernier film de Jackie Chan, est sorti sur les écrans à grand renfort de publicité. Au Québec, la version française de Shanghai Knights s’intitule Les Chevaliers de Shanghai. Mais en France, la version française s’intitule… Shanghai Kid!
C’est pas beau, ça?
Idem pour le dernier film de François Ozon, le réalisateur de 8 Femmes. Au Québec, l’opus s’intitule La Piscine, alors qu’en France, il s’intitule Swimming Pool.
Dire que les grands ténors de la pureté linguistique ne cessent de nous vanter les charmes de Paris…
(Parlant de pureté linguistique: il y a quelques mois, la SRC annonçait qu’elle allait faire l’impossible pour améliorer la qualité du français parlé sur ses ondes. Au même moment, la ville était envahie par des affiches géantes faisant la promotion de l’émission de variétés Palmarès. Quel était le slogan utilisé par les bonzes du marketing de Radio-Canada? "Palmarès: le top du top." C’est ce que j’appelle une campagne full cool.)
Les Français sont complètement schizophrènes lorsqu’il est question des États-Unis. D’un côté, ils ne cessent de critiquer les Amerloques, qu’ils considèrent comme des impérialistes ignares et incultes. Et de l’autre, ils sont prêts à faire des bassesses pour être aussi cool qu’eux. Ils vendraient leur mère pour une paire de Nike ou de Levi’s, et font la queue devant l’UGC Montparnasse pour le moindre navet made in U.S.A.
Nos cousins d’outre-mer ne sont pas les seuls à entretenir des rapports aussi ambigus avec les États-Unis. Aucun pays ne réussit à nous agacer et à nous fasciner à ce point.
C’est qu’il y a deux Amériques. L’Amérique des Lumières et l’Amérique de la Grande Noirceur. Celle de la bataille des droits civiques et celle de l’esclavage et du KKK.
L’Amérique rebelle qui a permis à deux journalistes de moins de 30 ans de faire tomber un président, et l’Amérique servile de CNN et de Fox News.
L’Amérique héroïque et idéaliste du Débarquement, et l’Amérique égoïste et matérialiste de l’Organisation mondiale du commerce.
L’Amérique qui fait vomir Alain Souchon, et l’Amérique qui fait baver Eddy Mitchell.
L’Amérique du Women’s Lib, de Roe versus Wade et du rock’n’roll. Et l’Amérique de John Wayne, de Joe McCarthy et de la droite religieuse.
Jusqu’au mouvement antimondialisation qui est imprégné de cette ambiguïté, de cette hésitation. D’un côté, le discours antimondialisation a de forts relents antiaméricains. Mais de l’autre, il s’abreuve à la source même des grands mouvements de contestation qui ont marqué l’histoire des États-Unis.
C’est ce qui est fascinant, dans ce pays. Les États-Unis sont à la fois la maladie et le vaccin, le pouvoir et le contre-pouvoir, un système répressif qui engendre, défend (et, pourrait-on dire, encourage) sa propre contestation.
Essayez, vous, d’écrire un pamphlet critiquant le gouvernement en Chine, à Cuba ou en Arabie Saoudite: vous allez vous retrouver pendu par les pieds dans un cachot lugubre. Or, qui retrouve-t-on en haut de la liste des auteurs les plus populaires aux États-Unis? Noam Chomsky et Michael Moore.
Ces deux poster boys de la gauche ne sont pas des intellectuels persécutés qui tirent le diable par la queue dans un demi-sous-sol de Harlem, mais des vedettes adulées. Michael Moore est devenu multimillionnaire en critiquant les riches (il vit dans un condo de 1,5 million de dollars et envoie ses enfants à l’école privée). Faut le faire!
Nommez-moi un pays où l’on dorlote autant les ennemis du pouvoir?
Noam Chomsky irait-il vivre en Chine? Bien sûr que non. Il n’y durerait pas trois jours. Alors qu’aux États-Unis, sa carrière et ses vieux jours sont assurés.
C’est pourquoi le pays de Ronald Reagan et de Bob Dylan demeurera à jamais la cible préférée de nos critiques.
Et l’objet fétiche de nos rêves.