On discute beaucoup du mariage gai ces temps-ci. Mais on parle peu du débat interne qui divise les gais eux-mêmes.
Car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas tous les homosexuels qui sont pour la légalisation du mariage gai. Certains trouvent que c’est un débat futile, voire dangereux. Pour eux, l’homosexualité n’est pas qu’un état biologique ou une pratique sexuelle, c’est un geste politique. Les homosexuels, disent-ils, ne devraient pas viser l’intégration, mais la révolution. Au lieu de vouloir se marier (et ainsi perpétuer les mythes mis de l’avant par la société patriarcale et hétérosexuelle, c’est-à-dire la fidélité, l’amour éternel, etc.), les homosexuels devraient au contraire lutter pour le renversement de ces valeurs.
Bref, ce n’est pas la société qui devrait changer les gais, mais les gais qui devraient changer la société!
C’est un peu ce que croyait le poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini. Dans Lettres luthériennes, petit traité pédagogique, un essai sorti un an après sa mort, le réalisateur de Salo écrivait ce texte-choc (la citation est longue, mais vaut amplement le détour):
"Plus un intellectuel progressiste est fanatiquement convaincu de la justesse de sa contribution à la réalisation des droits civiques, plus il accepte la fonction sociale-démocrate que le pouvoir lui impose, en supprimant toute altérité réelle par la réalisation falsifiée et totalisante des droits civiques. Ce pouvoir s’apprête donc en fait à recruter les intellectuels progressistes comme ses clercs. Et ceux-ci ont déjà donné à ce pouvoir invisible une adhésion invisible, en glissant dans leur poche une carte invisible. Contre tout cela, vous ne devez rien faire d’autre que de continuer simplement à être vous-mêmes: cela signifie à être continuellement irreconnaissable. Oubliez immédiatement les grands succès, et continuez, imperturbables, obstinés, éternellement contraires, à vous identifier avec ce qui est autre; à scandaliser; à blasphémer."
En d’autres mots: on ne peut pas à la fois lutter contre le pouvoir et demander sa bénédiction. Lorsqu’on demande au pouvoir de nous reconnaître, on reconnaît, en retour, son autorité suprême. Un gai qui demande à l’Église de le reconnaître accepte la loi de l’Église, sa vision du couple, de l’amour et de la famille. Il ne change pas l’ordre des choses: il rentre dans le rang. Il quitte la marge pour rejoindre le centre.
Il cesse d’être Autre pour devenir Semblable.
Les gais ont toujours été à l’avant-plan de la révolution sexuelle, pour une simple et bonne raison: ils ont toujours prôné une sexualité libre. Certes, il y a des gais straight qui se jurent fidélité jusqu’à la fin des temps. Mais soyons honnêtes, ils représentent une minorité. La plupart des homosexuels ont toujours nourri une certaine méfiance vis-à-vis de la sacro-sainte notion de fidélité. Pour eux, la fidélité est un mensonge inventé par les hétéros, un leurre, une hypocrisie. Pour faire un gros gag gras: ils préfèrent de loin s’agenouiller dans un sauna que dans une église…
Or, après avoir remis en question l’institution même du mariage pendant des années, voire des siècles, voici maintenant que les gais veulent l’embrasser! Que se passe-t-il? Ont-ils été infectés par un virus hétéro? Se sont-ils dit: "If you can’t fight them, join them"?
Voici donc la question que je vous pose cette semaine: les homosexuels se tirent-ils dans le pied en luttant pour la reconnaissance légale et religieuse du mariage gai? Sont-ils en train de rentrer lentement mais sûrement dans le rang? Troquent-ils leur altérité contre un peu de respect?
Nous attendons vos réponses. Comme pour les éditions précédentes du Jeu de la morale, vous pouvez nous transmettre votre point de vue par courrier ou par Internet.
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La semaine dernière, je dénonçais l’hypocrisie de Bertrand Cantat qui chantait l’amour et la solidarité en public mais battait sa blonde en privé. Or, un lecteur particulièrement débile m’a écrit pour me dire que la violence et les "excès" sont le prix à payer pour le génie. "Le génie, écrit-il, ne se soucie guère de la tiédeur, des bas bruns et de la bonne conscience."
Un conseil, monsieur le philosophe: pourquoi ne faites-vous pas part de vos réflexions à Jean-Louis Trintignant? Je suis sûr que, comme artiste, il apprécierait…