Cette semaine, je suis allé (re)voir Les Temps modernes, de Charlie Chaplin, qu’on a ressorti dans une version restaurée.
Et j’ai eu honte.
Honte d’avoir si souvent utilisé les mots "génie" ou "chef-d’oeuvre" dans mes conversations (et, parfois, dans mes écrits). Ces mots sont tellement galvaudés qu’ils ne veulent plus rien dire. Revoir un Chaplin sur grand écran m’a permis de renouer avec leur définition exacte.
Un peu comme si je croquais de vrais bleuets après avoir passé 15 ans à sucer des bleuets congelés.
Le plus touchant, c’est que ma fille de sept ans m’accompagnait. Et qu’elle a ri tout au long de la projection. Soixante-sept ans après sa sortie initiale, le film de Chaplin est toujours aussi efficace. Et toujours aussi pertinent.
C’est bien simple, on se sent tout petit devant une telle oeuvre. Comme si on regardait les pyramides d’en bas. On a mal au cou tellement le sommet est haut.
Il y a plusieurs grandes scènes dans Les Temps modernes (ma préférée: celle où Charlot passe pour un leader marxiste parce qu’il agite un drapeau rouge qui vient tout juste de tomber d’un camion). Mais la plus célèbre est sans doute celle de la machine qui nourrit l’ouvrier pendant qu’il travaille. "Cette machine révolutionnaire permettra aux patrons de maximiser la productivité de leurs employés tout en sauvant de l’argent", affirme son inventeur.
La scène est à pisser dans ses culottes (ce que j’ai presque fait, je l’avoue). Mais elle est aussi prophétique.
Car en 2003, cette invention existe bel et bien. La seule différence, c’est qu’elle ne nourrit pas le travailleur: elle lui "facilite" la vie. Elle le "libère" des menus tracas de la vie quotidienne pour lui permettre de mieux se concentrer sur son travail; donc, de mieux performer.
Prenez BMC Software, par exemple. Cette firme de haute technologie basée à Houston offre toutes sortes de petits goodies à ses employés. Les bureaux de la firme sont équipés d’un gymnase high-tech, d’un coin cuisine agrémenté d’une télé géante, d’un salon hyper-confortable… Il y a même un préposé qui lave les autos des employés pendant qu’ils travaillent!
Vous avez besoin d’aller chercher vos vêtements chez le nettoyeur? Pas de problème, une fille va s’en charger pour vous! Elle peut aller faire votre épicerie, conduire vos enfants à l’école, accompagner votre vieille mère malade chez le médecin…
Tout juste si un gars ne va pas faire l’amour à votre femme pendant les périodes de rush!
Mais en contrepartie, vous ne devez JAMAIS, au grand JAMAIS, répondre par la négative lorsque votre patron vous demande de rester au bureau jusqu’à minuit. Refuser les heures supplémentaires n’est pas une option.
Compétition oblige, de plus en plus d’entreprises offrent ce genre de services à leurs employés. Mais ce n’est pas pour leurs beaux yeux: c’est pour les attacher davantage.
Dans Les Temps modernes, l’horrible machine inventée par Chaplin nourrit les travailleurs au maïs. Aujourd’hui, on leur offre du café Illy, de l’eau purifiée et des salades bio.
Autre diète. Même esclavage.
III
L’homme qui battait les femmes (bis)
La bêtise est comme la mauvaise herbe: elle pousse dans les endroits les plus inusités.
Prenez l’affaire Cantat. Le 16 août, dans le journal Le Monde, une cinéaste (Hélène Chatelain), un écrivain (Claude Faber) et un auteur dramatique (Armand Gatti) ont signé une lettre ouverte prenant la défense de Bertrand Cantat, le chanteur qui a battu Marie Trintignant à mort.
"Bertrand Cantat est notre frère d’écriture, de conviction et de coeur, lancent-ils. Nous aimons tout de lui, son regard sur le temps, ses épaules larges comme un horizon, sa poésie en forme d’étoile. (…) Notre compagnon a besoin de retrouver son honneur. Au nom de ce qu’il est réellement. Un homme digne d’être considéré comme un frère."
Question-quiz: croyez-vous que ce batteur de femmes aurait fait l’objet d’autant de considération s’il était comptable agréé à Bourbon-les-Oies?
Poser la question, c’est y répondre.