Ondes de choc

Quel lieu commun?

Il y a deux semaines, je consacrais ma chronique au sentiment d’insécurité que nous éprouvons face à la montée du terrorisme international.

"La question qui se pose est simple, écrivais-je: ou l’on devient complètement parano, et on accepte de vivre dans un État policier. Ou l’on tente de combler la disparité qui existe entre les riches et les pauvres en exportant la richesse. Car lorsqu’un homme est pauvre, il est prêt à tout."

Ces mots m’ont valu d’être pris à partie par certains lecteurs, dont David Ouellette qui, dans une Grande Gueule publiée la semaine dernière, affirme que cette volonté d’associer le terrorisme à la pauvreté est un lieu commun qui "esquive la pensée critique", "paralyse la réflexion" et "suscite une sympathie indue pour des assassins de masse".

Mettons les choses au clair: je n’éprouve aucune sympathie pour les terroristes qui massacrent des innocents. Ce sont des monstres qui ne méritent que notre haine et notre mépris. Mais dire qu’il n’existe AUCUN lien entre la pauvreté et la montée du terrorisme me semble un peu court. Je ne sais pas si ça "paralyse la réflexion", mais ça l’endort en maudit.

Certes, la pauvreté n’explique pas tout. Ben Laden, par exemple, possède des gonzillions de dollars. Mais il ne faut pas se fermer les yeux et tomber dans l’autre extrême! Les pays pauvres constituent un terreau fertile pour les leaders terroristes à la recherche de nouveaux membres et de futurs assassins. Il suffit de regarder ce qui s’est passé en Algérie pour s’en rendre compte.

La pauvreté n’est pas le bâton de dynamite: c’est la mèche. Ce n’est pas le sol: c’est l’engrais. Le petit ingrédient magique qui permet à l’horrible bête de pousser en force et de développer des racines solides.

C’est la recette secrète du Colonel. Le levain qui fait lever la pâte.

"L’argent ne fait pas le bonheur, dit-on. Mais ça aide." Eh bien, on pourrait dire la même chose au sujet de la pauvreté. "La pauvreté n’engendre pas nécessairement la violence. Mais ça donne un méchant coup de pouce…"

Vous avez raison, monsieur Ouellette: la lutte contre la pauvreté ne constitue pas LA solution au terrorisme international. Il ne suffira pas d’exporter la richesse pour éradiquer une bonne fois pour toutes cette menace. Mais elle fait partie à coup sûr des solutions que nous devrons considérer et des actions que nous devrons entreprendre si nous voulons un jour venir à bout de ce grave problème.

Le 22 septembre, sous l’égide de l’ONU, une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement se rassembleront à New York pour réfléchir aux causes du terrorisme international. Pour aider les participants à déterminer les vraies racines du terrorisme, les organisateurs de la conférence ont réuni en juin, à Oslo, un panel de 30 experts internationaux. Les conclusions de ces universitaires ont été synthétisées dans un rapport.

Première conclusion: ces experts s’entendent pour dire qu’effectivement, le lien entre pauvreté et terrorisme est ténu. Les terroristes, disent-ils, ne sont généralement pas issus des catégories les plus déshéritées de la société. Ils sont plus éduqués que la moyenne, et possèdent davantage de ressources. Mais ça ne veut pas dire que la pauvreté ne joue pas un rôle important dans la montée des groupes terroristes. Comme l’ont souligné les spécialistes réunis à Oslo, la majorité des terroristes vivent dans des pays où il existe d’énormes disparités dans la distribution des richesses. Et ce fossé entre les très riches et les très pauvres agit comme un véritable terreau pour les différents groupes terroristes.

Ce fossé ne crée pas le terrorisme. Mais il lui pave la voie. Il le rend possible.

Vous me direz que cette disparité est créée par les dirigeants arabes eux-mêmes, qui pourraient soigner la misère de leur peuple et ne le font pas. Vrai. Mais il ne faut pas oublier que ces régimes reçoivent souvent l’appui et la bénédiction de nos gouvernements, qui préfèrent négocier avec des chefs cupides qu’avec des représentants élus par le peuple.

"Il faudrait exporter la richesse", écrivais-je. J’ajoute: il faudrait aussi exporter la démocratie. Et appuyer concrètement les groupes qui, au Moyen-Orient et ailleurs, luttent activement contre la dictature et l’obscurantisme.

Il en va de notre sécurité à tous.