Connaissez-vous Reliable Sources? Cette émission sur les médias est diffusée sur les ondes de CNN. Chaque semaine, des observateurs et des acteurs de la scène politique débattent de la façon dont les médias américains ont traité tel ou tel sujet.
Le 10 août 2002, l’animateur de Reliable Sources, le célèbre critique de télé Howard Kurtz, a demandé à la journaliste Dana Milbank, du Washington Post, pourquoi Al Gore était si mal traité par les médias. Voici ce qu’elle a répondu (cet échange est publié dans le dernier numéro du magazine Harper’s, à la page 80):
"Tu veux connaître la raison, Howie? Je crois qu’Al Gore est moralisateur, et aux yeux de la presse, c’est la pire chose qu’un politicien puisse être. Si Gore est mal aimé par la presse, c’est qu’il donne toujours l’impression qu’il est meilleur que nous – qu’il est meilleur que tout le monde, en fait, et qu’il est un meilleur journaliste que nous. Le président Bush pense probablement la même chose, mais au moins, il ne le montre pas. Il ne semble pas nous mépriser lorsqu’il nous regarde. Et cela a probablement joué sur notre couverture de la campagne."
J’ai lu ce texte le lendemain de la diffusion de l’excellent documentaire de Jean-Claude Labrecque, À hauteur d’homme. La coïncidence, avouez-le, est assez savoureuse.
En effet, on pourrait dire la même chose à propos de Bernard Landry. Qu’est-ce qui ressort du film de Labrecque? Que le chef du PQ a tendance à être moralisateur, qu’il ne se prend pas pour de la petite bière ("Mes adversaires sont probablement moins intelligents que moi", dit-il entre deux phrases en latin), qu’il regarde les journalistes de haut et qu’il n’hésite pas à leur faire la leçon lorsqu’il juge qu’ils n’ont pas fait leur travail comme il faut. Résultat: les journalistes lui remettent la monnaie de sa pièce et le traitent comme un adversaire, au lieu de le traiter comme un chef de gouvernement.
La question, cependant, demeure: quel est le rôle d’un reporter politique? Rendre compte, ou régler ses comptes? Rapporter la nouvelle, ou faire la nouvelle? Prendre un politicien en défaut lorsqu’il trébuche, ou tendre des pièges dans l’espoir de le faire trébucher?
Photographier un homme lorsqu’il tombe est une chose. S’arranger pour le faire tomber (afin d’avoir une bonne photo en une, le lendemain) en est une autre. Ce n’est pas du tout la même ball game.
J’avais l’impression, en regardant le film de Labrecque, que certains journalistes seraient plus à leur place à Surprise sur prise qu’à l’emploi d’un média sérieux. Leur job n’est pas de témoigner de la réalité. C’est de prendre des gens en défaut, creuser un trou au beau milieu du trottoir, le recouvrir d’un drap et se cacher derrière un arbre jusqu’à ce que quelqu’un tombe dedans.
Un reporter qui pose la même question 20 fois de suite ne veut pas une réponse. Ce qu’il veut, c’est une gaffe. Il attend le moment où l’homme qui est en face de lui trébuche. Il se dit qu’à force de répéter la même phrase ad nauseam, son interlocuteur finira par bégayer, par prendre les nerfs et par se planter. Et finalement, il l’aura, sa quote et son image-choc.
Vous savez quel est l’ennemi numéro un des journalistes? L’ennui. Il n’y a rien de plus rasant que de couvrir un point de presse sur le rapatriement des points d’impôt. Alors pour se désennuyer et rendre leur quotidien un peu plus intéressant, les journalistes jettent de l’huile sur la braise. "Tiens, Parizeau a dit une connerie! Allons confronter Landry, avec un peu de chance, il va prendre les nerfs et mon compte rendu du point de presse se retrouvera à la une au lieu de se retrouver en page A-10, comme d’habitude."
Certes, Jean-Claude Labrecque a fait des choix. Son documentaire ne montre pas TOUTE la réalité, mais une partie de la réalité. Mais les questions qu’il pose sur le travail des journalistes méritent qu’on en débatte.
Et ne me dites pas que les journalistes ont l’habitude de s’autocritiquer! Ils le font une fois par année, lors du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Et, à ce que je sache, ce congrès se tient à huis clos.
Loin des caméras.
(En passant, voulez-vous bien me dire pourquoi les médias ont mis autant l’accent sur le langage supposément salé de Bernard Landry? L’ex-premier ministre ne jure que quatre ou cinq fois pendant le film. Était-ce pour créer une diversion?)