Ondes de choc

Tout ça pour ça

J’aime le cinéma

Dans la vie, il y a des gens qui lisent des romans, qui écoutent de la musique ou qui récitent de la poésie. Moi, je vois des films. Toutes sortes de films. Des films de série B, des films expérimentaux, des films d’action, des films d’art et d’essai, des films historiques, des films de cul.

Quand je vais voir le tout nouveau film d’un cinéaste que j’admire, c’est bien simple, j’ai les mains toutes moites. Tout juste si j’arrive à dormir la veille.

Dimanche soir, je n’ai presque pas dormi. Car je savais que le lendemain, j’allais voir Kill Bill, le dernier Tarantino.

Ça faisait une semaine que j’écoutais la bande sonore dans mon auto. Une semaine que j’imaginais le film dans ma tête, que je me repassais des scènes que je n’avais encore jamais vues.

Eh bien lundi soir, j’ai vu Kill Bill. Et je suis littéralement tombé sur le cul.

D’ennui.

De toute ma vie, je n’ai jamais vu un cinéaste aussi doué raconter une histoire aussi nulle. Kill Bill est certainement l’un des plus gros gaspillages de talent de toute l’histoire du cinéma. Comme si je demandais à Anne Desjardins, la chef de L’Eau à la bouche, l’un des meilleurs restos au Québec, de me faire un grilled cheese.

Dès les 10 premières minutes, j’ai su que quelque chose n’allait pas. Tarantino avait beau ressortir tous ses vieux trucs (clins d’oeil, musique funky, fétichisme vestimentaire, attitude à revendre), je ne décollais pas. Je restais là, les bras croisés, à me demander pourquoi le courant ne passait pas.

Soudainement, après que le vingt-cinquième cadavre se fut complètement vidé de son sang, quelque part au début de la deuxième bobine, ça m’est venu à l’esprit.

J’en ai ras le cul du deuxième degré.

Est-ce à cause du 11 septembre? Toujours est-il que le cynisme de Tarantino ne me fait plus bander. Je ne trouve rien de drôle à observer une petite fille de quatre ans voir sa mère se faire planter un couteau de cuisine dans le coeur. Vous avez beau mettre votre caméra toute croche, monter ça sur une toune hyper-cool et glisser Uma Thurman dans un jump suit hyper-moulant, désolé, ça ne passe pas.

Ça ne passe plus.

La posture ironique, qui me plaisait tant il y a quelque temps, me paraît maintenant complètement dépassée. "Je pense qu’un romancier qui n’écrit pas des romans réalistes ne comprend rien aux enjeux de l’époque où nous vivons", écrivait Tom Wolfe. Cette phrase résume parfaitement le malaise que j’ai ressenti devant le film de Tarantino.

Avoir autant de talent et dire si peu de choses me semble obscène. On a l’impression que pour Tarantino, rien n’a changé au cours des deux dernières années. Le monde est en feu, mais le réalisateur de Pulp Fiction et de Reservoir Dogs continue de lancer des clins d’oeil stériles aux vieux films de kung-fu des frères Shaw.

Si au moins on retrouvait des envolées lyriques, comme dans les westerns spaghetti de Leone; quelques flashs philosophiques, comme dans The Matrix; ou une touche de poésie, comme dans Crouching Tiger, Hidden Dragon, d’Ang Lee. Mais non: Kill Bill est d’un vide sidérant. Pas seulement vide: vide et fier de l’être.

Je n’ai rien à dire, mais je m’en fous, je le dis pareil, et avec panache. Et comme je n’ai pas assez d’un film pour vous dire que je n’ai strictement rien à dire, je vais en faire deux! Kill Bill, 1re partie et Kill Bill, 2e partie.

Dans 99 Francs, son livre-culte sur l’univers de la publicité, l’écrivain Frédéric Beigbeder adoptait lui aussi cette posture ironique "full cool". Mais dans Windows on the World, son plus récent roman qui porte sur les attentats du 11 septembre, il a jeté son cynisme aux poubelles. Il ne traite plus la mort comme une blague, mais comme un drame, une tragédie. Il ne regarde plus le monde de biais, mais en face, dans le blanc des yeux. Il ne se protège pas: il saute, il plonge.

Tarantino, lui, n’a pas changé d’un poil. Il continue de rigoler en regardant un gars se faire trancher la tête. Il n’est pas sorti de son univers de mangas sanguinolents et de nanars de série B.

Tarantino était le cinéaste d’une époque. Mais cette époque est révolue et le monde est ailleurs.