Ondes de choc

Langue de bois et statue de bronze

Le hasard fait drôlement les choses.

Prenez ce qui est arrivé cette semaine, par exemple. À quelques jours d’intervalle, deux figures légendaires du syndicalisme ont été hissées au rang de héros nationaux.

Michel Chartrand est la vedette de Simonne et Chartrand, une mini-série historique diffusée sur les ondes de Télé-Québec.

Et Jean Lapierre, qui a dirigé le célèbre local 301 pendant 18 ans, a maintenant sa statue de bronze devant le quartier général du Syndicat des cols bleus, avenue Papineau.

On ne pourrait rêver de deux figures plus opposées.

Le premier donne toutes ses lettres de noblesse au syndicalisme. Alors que le second, lui, ridiculise et travestit ce mouvement.

Dans le coin gauche, un humaniste lettré qui utilise le syndicalisme pour lutter contre l’injustice et faire avancer la société. Et dans le coin droit, un être primaire qui défend le corporatisme de ses pairs en prenant la population en otage et en utilisant des moyens dignes des Hells Angels.

Tous les deux sont des syndicalistes. Mais ces combattants sont aussi différents l’un de l’autre que Mohammed Ali et Dave Hilton.

Malheureusement, on ne peut pas le dire. En tout cas, pas à voix haute. Car dans le merveilleux monde du syndicalisme, la langue de bois est toujours de rigueur. Impossible de critiquer un leader syndical sans passer pour un anti-syndicaliste.

Alors, on se ferme la gueule et on laisse faire.

On dit toujours que Michel Chartrand est un homme libre. C’est un des nombreux lieux communs qui parsèment notre langage: Chartrand est un homme libre, Bourgault était le dernier rebelle, Filiatrault est la reine du timing… Mais s’il était si libre que ça, Michel Chartrand ne frapperait pas qu’à droite, il cognerait sur tout ce qui bouge, ou plutôt sur tout ce qui ne bouge pas, sur tout ce qui stagne, sur tout ce qui bloque.

Or, Chartrand a-t-il déjà critiqué les méthodes sauvages utilisées par certains syndicalistes bras de fer? A-t-il déjà pourfendu le corporatisme éhonté de certaines centrales? A-t-il déjà dénoncé l’immobilisme de certains syndicats de la fonction publique, qui protègent l’incompétence et la paresse ad vitam æternam?

"Sans la liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur", disait Beaumarchais. Cet aphorisme ne s’applique pas qu’à la critique littéraire, il concerne aussi le syndicalisme.

Vous voulez tuer un mouvement? Cessez d’en critiquer les excès, ne dénoncez pas ses dérapages et laissez des clowns détourner ses principes à leurs propres avantages. Vous verrez: après quelques années de ce régime, le système que vous aimez tant s’encroûtera, déraillera.

Et deviendra aussi ridicule que la statue de bronze qui orne l’entrée du siège du syndicat des cols bleus.

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Vous aimez le théâtre?

O.K., même si vous ne l’aimez pas, courez voir Mille Feuilles, la dernière pièce des Éternels Pigistes, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui, rue Saint-Denis. C’est une critique féroce, courageuse et extraordinairement jouissive du crétinisme culturel dans lequel baigne le Québec depuis quelques années.

Ces jingles insipides qu’on tente de nous faire passer pour de la musique. Ces shows de réalité imbéciles qu’on tente de faire passer pour des expériences sociologiques. Et, surtout, ces comédies musicales pompeuses et sirupeuses qu’on tente de faire passer pour de l’art.

Si ces tounes niaises inspirées d’Hugo, de Saint-Exupéry ou de l’Ancien Testament vous donnent des nausées, vous frissonnerez de plaisir en regardant Mille Feuilles. On nous présente un extrait d’une (fausse) comédie musicale inspirée de la vie de Gauguin. Pissant. Vêtu d’un simple pagne, Christian Bégin chante: "Tahiti, Tahiti, je veux aller à Tahiti…" avec toute la fougue d’un ténor allemand interprétant L’Or du Rhin sur la scène de Bayreuth.

Un grand moment de comédie. Le pire, c’est que cette parodie n’est pas plus grotesque que les vraies comédies musicales présentées au Théâtre St-Denis.

Le personnage principal de Mille Feuilles est une productrice hystérique qui occupe un poste important au sein d’un empire médiatique. Quand elle n’est pas en train de piquer des crises, cette fille qui tripe sur les chiens et le Botox produit un reality-show intitulé L’École des idoles.

Une source très bien informée m’a confié que ce personnage était inspiré d’une vraie productrice.

J’ai beau chercher, je ne sais vraiment pas de qui il s’agit…