La semaine dernière, je suis allé visiter une école secondaire dans le cadre d’un reportage qui sera bientôt diffusé sur les ondes de Télé-Québec. Le directeur de l’école me faisait part des divers problèmes auxquels les professeurs de son établissement étaient confrontés quotidiennement: clientèle de plus en plus pauvre, manque de motivation des jeunes, parents laxistes et peu encourageants, manque éhonté de ressources…
"Selon moi, les professeurs sont des saints", dis-je au directeur.
"Certains professeurs, me précise-t-il. Je peux vous en présenter d’autres qui sont loin d’être des anges. Ils ennuient les élèves depuis des années, et leur enlèvent complètement le goût d’étudier. Malheureusement, je ne peux rien faire contre eux, à cause du syndicat…"
Je me suis alors rappelé ma propre enfance. Pour chaque enseignant qui me donnait vraiment le goût de me dépasser, combien de ronds-de-cuir blasés se contentaient de lire platement leur manuel, un oeil sur l’horloge et l’autre sur leur convention collective? Je pense à mon prof d’histoire, entre autres. L’enseignant le plus plate de la planète. Une véritable plaie. Donner un cours, pour lui, consistait à ouvrir son manuel d’histoire et à lire une vingtaine de pages, de la voix la plus monocorde possible. Lorsque la cloche sonnait, il fermait son livre et le déposait sur son bureau.
Quand ce prof m’a enseigné, ça faisait déjà des années qu’il emmerdait les jeunes. Et après mon départ, il a continué de les emmerder pendant dix autres années. Sans jamais avoir peur de perdre son boulot.
Que voulez-vous, le gars était protégé jusque-là. La seule raison pour laquelle le directeur aurait pu le sacrer dehors aurait été d’avoir commis un crime grave.
Or, emmerder les enfants pendant des décennies ne semble pas être considéré comme un crime grave dans le milieu de l’éducation. C’est juste business as usual.
Loin de moi l’idée de faire de l’anti-syndicalisme primaire. Mais certaines aberrations me font grimper dans les rideaux.
On a beau dire ce qu’on voudra, il est tout à fait inconcevable que le directeur d’un centre d’hébergement ne puisse pas congédier des employés qui s’amusent méchamment à harceler une patiente, sous prétexte que ces employés fautifs sont protégés par une convention collective en béton. Qu’est-ce qui est le plus important? Protéger les malades, ou surprotéger une poignée d’employés qui profitent de leur sécurité d’emploi pour faire des bêtises?
Comme l’écrivait l’éditorialiste Jean-Robert Sansfaçon dans Le Devoir du 27 novembre: "Tant que notre gouvernement n’imposera pas par voie législative la prépondérance des droits des bénéficiaires de services publics sur les règles négociées dans les conventions collectives, nos établissements publics continueront de vivre sous un régime de cogestion bâtard où les pratiques corporatistes des uns neutralisent la mission sociale essentielle de l’institution."
Ça doit être très difficile d’être prof ou de travailler dans un centre d’hébergement pour malades chroniques. Parfois, on doit se sentir au bout de son rouleau, lavé, vanné. Mais ça ne justifie en rien les dérapages, le silence et l’aveuglement de certains leaders syndicaux.
Oui, il faut protéger les employés contre les sautes d’humeur, les vengeances personnelles et les décisions arbitraires de certains patrons qui en mènent un peu trop large. Oui, il faut protéger les travailleurs contre les injustices engendrées par les réformes à répétition. Mais il faut aussi protéger les étudiants et les bénéficiaires du système de santé contre l’incompétence et la paresse de certains employés.
Je compte quelques profs dans mon entourage. Ils ont encore le feu sacré. Mais ils se sentent de plus en plus isolés. Pourquoi se fendraient-ils en quatre pour donner le goût aux jeunes de se dépasser et d’aller plus loin, si le zouf qui se pogne le cul dans la classe d’à côté (et qui se contente de lire platement son manuel pendant deux heures) profite des mêmes avantages qu’eux?
À quoi ça sert de viser l’excellence si le système ne fait aucune différence entre les bons et les mauvais profs?
Bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’anti-syndicalisme primaire, et jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais il ne faut pas non plus laisser le bébé dans sa merde lorsque sa couche est pleine.
Or, la couche, ces-temps-ci, commence à sentir vachement mauvais.