Ondes de choc

Des amis pour la vie

À: George W. Bush, président des États-Unis

De: Paul Martin, premier ministre du Canada

Monsieur, je me présente. Je m’appelle Paul Martin, et je suis le nouveau premier ministre du Canada.

Je vous écris aujourd’hui pour vous annoncer une excellente nouvelle: vous avez enfin un ami au nord du 42e parallèle. Contrairement à mon prédécesseur, qui prenait un malin plaisir à vous faire grimper dans les rideaux (en s’opposant ouvertement à la guerre en Irak, en appuyant le mariage homosexuel, en signant le protocole de Kyoto, en critiquant votre magnifique projet de bouclier antimissile et en jonglant avec l’idée de décriminaliser les drogues douces, par exemple), je ferai l’impossible pour rendre votre séjour à la Maison-Blanche des plus agréables.

S’il y a quelque chose que je puisse faire pour vous aider, de grâce, n’hésitez pas à me le demander. Vous seriez surpris de voir à quel point le Canada est un pays débrouillard, ingénieux et dynamique lorsque vient le temps d’aider ses amis.

Prenez votre lutte contre le terrorisme, par exemple. Le 20 mai dernier, la BBC annonçait que les psychologues travaillant pour l’armée américaine avaient développé une méthode révolutionnaire pour briser le moral des soldats irakiens qu’ils gardent en captivité*: ils les attachent à une chaise, et font jouer des chansons de Barney (la célèbre émission pour enfants du réseau PBS) à tue-tête, jusqu’à ce que les soldats craquent. Quelle belle invention!

Je ne peux que m’incliner devant une telle utilisation du terrible dinosaure mauve ("Pendant mon entraînement, on m’a forcé à écouter la chanson-thème de Barney pendant 45 minutes, a affirmé un G.I. à un journaliste de la BBC. Je ne veux plus jamais avoir à endurer ça de ma vie."). Mais saviez-vous que le Canada a également créé une arme de torture massive capable de faire parler les prisonniers les plus récalcitrants?

Par le biais de nos différents programmes d’aide à la création télévisuelle, nous avons financé une opération militaire secrète, la plus grosse opération du genre depuis les fameux tests de déprogrammation du cerveau effectués à l’Institut Allan Memorial, rattaché à l’Université McGill, à la fin des années 50, sous les auspices de la CIA. Pendant plusieurs mois, nous avons patrouillé le Québec à la recherche d’une voix capable de transformer en zombies tous ceux qui avaient le malheur de l’entendre. Au terme d’un vaste concours, nous avons réussi à trouver ce que nous cherchions. Wilfred 1, notre nouvelle arme secrète (que nous avons débusquée au large du Nouveau-Brunswick, à des kilomètres de toute terre habitée), a été testée sur une population de rats dans un laboratoire blindé creusé à même le roc. Après 15 minutes, les pauvres bêtes s’entretuaient. Je ne veux pas minimiser le travail de vos psys, mais entre vous et moi, mon cher George (vous permettez que je vous appelle George?), Barney, à côté de ça, c’est de la petite bière.

Or, nous mettons cette arme à votre disposition. Tout ce que nous vous demandons, c’est de faire un don à la fondation Point J, nos partenaires dans cette opération.

Autre sujet: j’ai appris que votre administration se lancera bientôt à l’assaut de la Lune et de Mars, même si le déficit budgétaire de votre pays atteint un sommet record. Encore une fois, félicitations! Je l’ai toujours dit: ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’argent qu’il faut s’empêcher de rêver.

Cette opération de grande envergure remontera certainement le moral de vos compatriotes. En effet, aux dernières nouvelles, la situation était plutôt calme sur ces deux territoires. Pas d’opposition, pas de terroristes, rien. Que des ruines (comme Bagdad présentement!). Certains disent que cette aventure est un gaspillage éhonté et inutile des fonds publics. Je ne suis pas d’accord. Comme vous, je crois en la doctrine des frappes préventives. Il faut frapper les Martiens avant qu’ils ne nous frappent! Ce n’est pas parce que nous n’avons pas encore vu de petits bonshommes verts qu’ils n’existent pas. Si ça se trouve, ils sont peut-être cachés dans des cavernes, en train de fabriquer des armes bactériologiques…

Bref, mon cher George, je crois que nous allons bien nous entendre. Après tout, vous avez du pétrole, et j’ai des pétroliers. Comme disait Bogart à la fin de Casablanca: "This is the beginning of a beautiful friendship…"

*http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/3042907.stm