Ondes de choc

Le Christ rouge

Vous souvenez-vous des années 80? Tout le monde avait un poster de Marilyn Monroe dans son salon. En noir et blanc, en couleurs ou en néon. Pas possible de faire deux pas sans tomber sur une photo de la vedette de Some Like It Hot. Les hétéros tripaient sur ses formes généreuses, les gais adoraient son côté drag queen, et les femmes voyaient en elle une victime du pouvoir masculin. Marilyn représentait tout pour tout le monde.

Vingt ans plus tard, la belle blonde a cédé sa place au beau barbu. En effet, aujourd’hui, ce n’est plus Marilyn qui fait baver les fabricants de t-shirts, mais Che Guevara. Le révolutionnaire sud-américain est devenu une icône rock, au même titre que Jim Morrison ou Bob Dylan.

On vend des chandails à l’effigie du Che, des macarons, des épinglettes… Sur le célèbre site eBay, vous pouvez acheter des tasses à l’effigie de Guevara, des réveille-matin, des carnets de notes, des porte-clés, des cendriers, des verres, des casquettes, des autocollants, des boucles de ceinture, des montres-bracelets, des médailles, des sculptures, des sous-verres, des horloges, des drapeaux, des timbres, du papier à cigarette, des briquets Zippo, des napperons, des colliers, des pendentifs et des boutons de manchettes.

Vous pouvez même acheter un chéquier à l’effigie du Che! Un chéquier, saint bordel!

Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Régis Debray. Le philosophe français, qui a fait la révolution aux côtés du Che dans les années 60, était de passage au Québec pour faire la promotion de son dernier bouquin, Le Feu sacré, un essai volumineux sur la religion. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de tout ce cirque. "C’est la preuve qu’aujourd’hui, dans notre système, tout peut être récupéré, m’a-t-il répondu. Même le discours révolutionnaire."

Et pourquoi le Che et personne d’autre?

"Parce qu’il a une belle gueule. Et qu’il est mort avant de devenir un dictateur…"

"It’s better to burn than to fade away…", chantait Neil Young. Il semble que la phrase vaille autant pour les rockeurs que pour les révolutionnaires. Si Che Guevara connaît une telle popularité auprès des jeunes, ce n’est pas parce que sa pensée politique est plus complexe et plus subtile que celle de Fidel, son ancien compagnon de route; c’est parce qu’il s’est fait buter à 39 ans, dans la force de l’âge, et qu’il n’a pas eu le temps de devenir un vieux schnock grisonnant qui emmerde tout le monde avec ses discours-fleuves de 12 heures.

Il est mort jeune comme Jimi Hendrix et Janis Joplin. Au lieu de devenir gros et con comme Elvis.

Il y a quelques mois, Volkswagen a diffusé un spot publicitaire pour vanter les mérites de sa nouvelle Golf. Pendant quelques secondes, on voyait défiler le visage de plusieurs personnalités: Marilyn Monroe, John Lennon, Andy Warhol, Bruce Lee et… Che Guevara! Le slogan: "Quitte à être une légende, autant être une légende vivante." Les héritiers de Marilyn ont voulu faire retirer cette pub des ondes, car ils ne voulaient pas associer l’actrice hollywoodienne au révolutionnaire sud-américain. Réponse des porte-parole de Volkswagen: "La figure de Che Guevara est essentielle pour notre campagne publicitaire, car elle représente l’esprit rebelle de la Golf."

De "Ouvriers de tous les pays, unissez-vous" à "Tasse-toi, mononcle ", il n’y a donc qu’un pas. Triste époque…

Ce week-end, je suis allé voir l’exposition sur les années 60, au Musée des beaux-arts de Montréal. À la fin de l’expo, les visiteurs se retrouvent dans une boutique, où l’on vend toutes sortes de bébelles inspirées de l’époque psychédélique. Des parapluies à l’effigie de Warhol, des photos de Janis… Si l’on en juge par les propos recueillis dans le livre de commentaires du Musée, ce mercantilisme choque les amateurs d’art. On dit que ça dénature le propos de l’exposition, que ça va à l’encontre du discours révolutionnaire des artistes de l’époque…

Personnellement, ces bébelles ne m’ont pas choqué du tout. Je trouve au contraire qu’elles s’insèrent parfaitement dans le corps de l’expo.

Dans les années 60, on disait que tout était de l’art. Aujourd’hui, tout est devenu un produit, même les figures marquantes de la Révolution.

Warhol a gagné. Tout n’est qu’image.

Tout le monde a son poster de Che Guevara…