Ondes de choc

Le bras de Dieu

Il y a des livres qui réussissent à changer le cours des choses. C’est le cas de The Threatening Storm: The Case for Invading Irak, un essai qui a fait couler beaucoup d’encre en 2002.

L’auteur, Kenneth Pollack, a travaillé pour la CIA. Il a aussi bossé pour le Conseil de sécurité nationale du gouvernement américain. Dans The Threatening Storm, ce spécialiste du Moyen-Orient affirmait que l’invasion de l’Irak n’était pas seulement justifiée, mais nécessaire. La raison? Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive et songeait même à fabriquer une bombe nucléaire. Bref, la situation était urgente, et l’Occident devait intervenir.

L’essai de Pollack a été cité plusieurs fois par le gouvernement Bush. Il est devenu la bible des "faucons". Une bible d’autant plus crédible qu’elle avait été écrite non pas par un proche de George W., mais par un agent de renseignements qui travaillait sous les ordres du président Clinton.

Or, dans le dernier numéro de la revue The Atlantic, Pollack fait son mea-culpa. Nous nous sommes trompés, écrit-il; la menace irakienne n’était pas aussi imminente que nous l’avions cru. Le gouvernement américain doit avouer ses erreurs s’il veut redorer son image auprès de la communauté internationale. Sinon, la prochaine fois qu’il criera au loup, personne ne le croira…

Malheureusement pour lui, Pollack hurle dans le désert. Non seulement le gouvernement américain n’avoue-t-il pas ses fautes, mais il en remet. Cette semaine, George W. a affirmé que Saddam était bel et bien en train de fabriquer des bombes nucléaires, et Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, a affirmé, les larmes aux yeux, que l’Amérique avait eu raison d’attaquer l’Irak.

l l l

Deux jours après avoir lu le texte de Pollack, j’ai regardé un épisode de The West Wing, l’excellente série d’Aaron Sorkin qui se déroule dans les coulisses de la Maison-Blanche. Dans cet épisode (le troisième de la première saison), le président des États-Unis, interprété par Martin Sheen, perd l’un de ses amis lorsque le gouvernement syrien abat un avion de passagers. Le président est furieux. Il veut bombarder la Syrie, et rayer le pays de la carte. Pour lui, c’est une question de principe: il faut montrer au reste du monde qu’on n’attaque pas les États-Unis impunément.

"Il y a 2000 ans, un citoyen romain pouvait parcourir le monde sans crainte d’être brutalisé, dit le président à son plus proche conseiller, Leo. Il n’avait qu’à prononcer trois mots: Civis romano sum. Je suis citoyen romain. Tout le monde savait que le châtiment de Rome allait être terrible s’il arrivait le moindre mal à un seul de ses citoyens. Or, que faisons-nous lorsque des terroristes attaquent nos compatriotes? Rien. Nous bombardons de minables cibles militaires, c’est tout.

– Nous nous comportons en superpuissance, corrige Leo.

– Eh bien, c’est une stratégie merdique, réplique le président. On devrait faire comprendre à nos ennemis que la prochaine fois qu’ils toucheront à un Américain, le poing de la plus grande force militaire de l’Histoire s’abattra sur leur maison…

– Vous croyez que le fait d’accroître le nombre de morts serait dissuasif? demande Leo. Si oui, vous êtes aussi stupide que les idiots qui croient que la peine de mort dissuadera les narcotrafiquants. Chaque jour, les trafiquants de drogues risquent de se faire exécuter par un des leurs. Et ces exécutions sont beaucoup moins délicates que les nôtres, elles ne s’encombrent pas des tracas et du coût d’un procès. Pourtant, ils ne quittent pas leur milieu. Alors si vous pensez que notre peine de mort va les faire rentrer dans le droit chemin, vous rêvez… Si vous voulez utiliser la puissance militaire américaine comme le bras de Dieu, vous le pouvez, monsieur le président. Nous sommes la dernière superpuissance, nous pouvons conquérir le monde comme Charlemagne. Mais si vous acceptez de suivre cette voie, vous devez être prêt à tuer tout le monde.

– Mon ami avait un bébé de dix mois, soupire le président. Et on n’a rien fait.

– On ne fait pas rien, dit son conseiller. On agit comme doit agir la première puissance mondiale. C’est-à-dire de façon raisonnable, responsable et clémente."

Cet épisode a été diffusé en octobre 1999, deux ans avant les attaques contre le World Trade Center. On devrait le faire visionner par le Pentagone…