Lecteurs, lectrices, j’ai une confession à vous faire: mercredi dernier, je suis allé voir La Passion du Christ, de Mel Gibson. Et j’ai aimé ça.
Beaucoup, même.
Je sais, je sais, le film est extrêmement violent. Mais regardez bien l’affiche: le titre est La Passion du Christ, pas "La Jeunesse du Christ" ou "La Récréation du Christ". Et la Passion, selon Le Petit Robert, c’est "les souffrances et le supplice du Christ". (Quant à la définition du mot supplice, c’est "une peine corporelle grave, mortelle ou affreuse, infligée par la justice à un condamné". Bref, c’est pas jojo. Le dictionnaire utilise même les termes crucifiement, décollation, écartèlement, écorchement et empalement pour décrire ce qu’est un supplice. Un dessin, avec ça?)
S’offusquer de voir de la violence et du sang dans La Passion, c’est comme s’offusquer de voir des effets spéciaux dans Le Seigneur des Anneaux: c’est absurde.
Ce qui me tue dans toute cette controverse, c’est que les critiques qui ont pourfendu la violence du film de Gibson sont les mêmes qui se sont agenouillés devant Kill Bill de Quentin Tarantino, un navet sans aucune profondeur qui utilise la violence à des fins totalement gratuites. La violence dans le film de Tarantino n’a aucune conséquence, c’est un gag, un punch-line, une "proposition esthétique"; alors que dans le film de Gibson, elle est montrée de façon réaliste. Quand Jésus reçoit un coup de fouet, ça ne dessine pas seulement une petite ligne rouge sur son corps: la peau se fend, le sang pisse, bref, c’est cruel, bestial, inhumain.
Et le sang n’est pas rouge fluo, comme dans une toile pop ou un manga japonais: il est foncé, cramoisi, presque noir. Il sent la mort et la putréfaction.
Il me semble que c’est une façon beaucoup plus responsable de montrer la violence, non?
Quant aux accusations d’antisémitisme, lâchez-moi. Ce ne sont pas les Juifs qui devraient se plaindre, mais les Italiens. En effet, les centurions romains sont dépeints comme des bêtes idiotes et sanguinaires, une sorte de croisement entre Charles Manson et Aldo Maccione. Tout juste s’ils n’ont pas les yeux croches et de grosses oreilles, comme dans Astérix…
Oui, le film de Gibson est morbide. Mais n’est-ce pas la nature même de la bête? S’il y a une religion morbide, c’est bien la religion catholique! L’imagerie de la religion catholique est remplie de martyrs éborgnés, de saints éventrés, de missionnaires lacérés et recouverts de cire chaude, de prêtres ébouillantés, et tutti quanti. Ne venez pas me dire que vous venez de le découvrir!
Il y a quelques jours, je suis allé visiter l’oratoire Saint-Joseph avec mes filles. Chaque fois qu’on passait devant ce bâtiment, elles me demandaient ce que c’était, alors j’ai décidé de le leur montrer. J’avais l’impression d’entrer dans une maison hantée. Des milliers de béquilles accrochées aux murs, des statues géantes du Christ crucifié, des Madones en larmes, des lampions, le tombeau du frère André… Tout ça enrobé d’une musique d’orgue 100 % macabre. C’est bien simple, mes filles avaient peur. Elles ont allumé un lampion à la mémoire de leur hamster décédé, puis on a déguerpi.
Quel est le symbole des cathos? Une colombe, une fleur? Non: une croix. Un instrument de torture! Si le Christ avait été électrocuté, ses fidèles se promèneraient avec une chaise électrique autour du cou…
Dans A Clockwork Orange, le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, l’aumônier de la prison oblige Alex, le personnage joué par Malcolm McDowell, à lire la Bible. Cette lecture est censée calmer le jeune délinquant, et le conduire dans le droit chemin. Or, ça fait tout le contraire: ça l’excite! Alex éprouve un plaisir pervers en lisant toutes ces descriptions de tortures, de crucifixion, de flagellation… Pour lui, la Bible est le jardin des délices, plus savoureux encore que tous les écrits de Sade.
Certains critiques affirment que le film de Gibson travestit la religion catholique. Je trouve au contraire qu’il en peint un portrait assez fidèle. Sa Passion du Christ est à l’image de son modèle: macabre, morbide, fascinée par le sang, la douleur, la souffrance, la culpabilité et l’abnégation.
Bref, ne tirez pas sur Mel. Il n’est que le messager…