Ondes de choc

Les invités de Pierre Karl Péladeau

On dit souvent qu’une image vaut mille mots. Je suis entièrement d’accord. Il y a des photos qui parlent plus que n’importe quel bouquin.

Prenez Le Journal de Montréal, par exemple.

Chaque dimanche, Pierre Karl Péladeau, le grand patron de Quebecor, profite du gala de Star Académie pour inviter des amis à souper. La photo du groupe est ensuite publiée dans les pages du quotidien montréalais.

C’est ainsi que samedi dernier, à la page 26 du Cahier Week-end du Journal de Montréal, on a pu voir une photo des "invités de marque" (dixit la légende) qui ont cassé la croûte avec PKP le dimanche 4 avril.

Parmi ceux-ci, il y avait Marc O’Sullivan, directeur exécutif de la radiodiffusion au CRTC; Andrée Wylie, vice-présidente de la radiodiffusion au CRTC, et Joan Pennefather, conseillère au CRTC. Chacune de ces personnes était accompagnée.

Pour ceux et celles qui l’ignorent, le CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) est un organisme public qui réglemente tous les aspects du système canadien de radiodiffusion.

Si Pierre Karl Péladeau veut acheter une station de radio, par exemple, il doit faire approuver sa démarche par le CRTC. Idem s’il veut renouveler la licence de LCN ou ajouter quelques postes à son système de câblodistribution.

Bref, le CRTC est une sorte d’arbitre qui encadre le monde des télécommunications. Un arbitre juste, indépendant et objectif, qui rend des comptes au Parlement par l’entremise du ministère du Patrimoine canadien.

Or, qui retrouvait-on à la table du gros patron de Quebecor, le 4 avril? Trois employés du CRTC! Et pas n’importe lesquels: trois joueurs importants. Qui n’ont pas hésité une seconde avant de se faire photographier aux côtés de leur hôte.

C’est comme si le président et le vice-président de l’Agence canadienne d’inspection des aliments acceptaient d’aller manger avec le propriétaire des fromageries Saputo! Et qu’ils y allaient avec leur épouse! Un dimanche soir! Histoire de célébrer l’arrivée d’un nouveau fromage dans l’empire Saputo!

Hellllllo????

Les fonctionnaires canadiens sont tous soumis au même code de conduite, le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Au chapitre 2 de ce code, il est stipulé que "les fonctionnaires ne doivent accepter aucun cadeau, aucune marque d’hospitalité ou aucun autre avantage qui risque d’avoir une influence réelle ou apparente sur leur objectivité et leur impartialité, ou de les placer dans une situation d’obligé envers le donateur".

On ne peut pas être plus clair…

Vous me direz que je m’offusque pour rien. Que des gens qui partagent une même passion (dans ce cas-ci: la télédiffusion) ont le droit de prendre un verre ensemble et de parler de la pluie et du beau temps quand bon leur semble.

Vous croyez vraiment que PKP inviterait madame Andrée Wylie si elle était directrice des communications chez Westinghouse au lieu d’être vice-présidente de la radiodiffusion au CRTC?

Moi non plus.

Je ne veux pas partir en peur, et demander une enquête publique sur les agissements des conseillers du CRTC. J’utilise seulement cet exemple pour vous montrer à quel point l’éthique fout le camp. Lentement mais sûrement.

Un jour, c’est une conseillère du CRTC qui accepte une invitation de PKP. Et le lendemain, c’est un haut fonctionnaire du ministère de la Défense qui va passer trois jours dans le chalet d’un fabricant d’armes.

Dans l’excellent film Broadcast News, Albert Brooks lance une phrase mémorable à Holly Hunter: "Lorsque le diable viendra nous visiter, il n’aura pas de grosses cornes. Il ne fera pas de mal, il ne blessera pas un seul être vivant. Il va juste s’arranger pour abaisser nos niveaux d’éthique. Juste un tout petit peu. Et le reste suivra…"

C’est ce qui se passe actuellement. Rien ne nous offusque, tout nous glisse dessus comme de l’eau sur le dos d’un canard.

Ah, en terminant… Vous savez qui assistait aussi au fameux souper de PKP? Line Beauchamp, la ministre de la Culture et des Communications. Accompagnée de son époux, évidemment.

Ce serait bien si madame la ministre prenait un peu de son temps pour aller manger avec la PDG de Télé-Québec. Quoique avec cinq millions de dollars de moins dans le budget, je ne sais pas ce qu’on pourrait lui servir…

Un hot chicken à la cafétéria?