Ondes de choc

Le grand sommeil

Vous avez vu le film Good Bye, Lenin!, de Wolfgang Becker?

L’idée est géniale. Une militante communiste pure et dure qui vit en Allemagne de l’Est tombe dans le coma quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Lorsqu’elle se réveille, le monde a complètement changé. Les deux Allemagnes se sont réunifiées, les statues de Marx et de Lénine ont été déboulonnées et des affiches géantes de Coca-Cola envahissent les boulevards de l’ancienne RDA. Bref, le capitalisme a eu raison du rideau de fer…

Le hic, c’est que la femme est encore fragile. Le moindre traumatisme pourrait l’achever. Afin de protéger sa mère, le fils de la militante est-allemande décide donc de lui cacher la déconfiture du régime communiste. Il l’empêche de sortir ou de regarder par la fenêtre, décore sa chambre comme dans les années 70, et lui fait visionner de faux bulletins de nouvelles qu’il enregistre dans un sous-sol avec un ami caméraman.

Résultat: la disciple de Lénine croit encore qu’elle vit dans un pays communiste, alors qu’en fait, l’Allemagne de l’Est est envahie par la porno, le fast-food et le dollar US.

Cette satire sociale est absolument brillante. En la regardant, je me suis dit qu’on pourrait en faire une version américaine.

Le titre? Good Bye, Jefferson!.

C’est l’histoire d’une intellectuelle new-yorkaise qui tombe dans le coma quelques mois avant l’attentat du World Trade Center. Lorsqu’elle se réveille, le monde a complètement changé. Les États-Unis ont déclaré la guerre à l’Irak sous de faux prétextes, des citoyens américains croupissent en prison sans avoir été formellement accusés de quoi que ce soit et les grands médias sont devenus des instruments de propagande. Partout aux États-Unis, les libertés civiles sont menacées. Des animateurs perdent leur boulot parce qu’ils ont osé critiquer le président, des acquis sociaux aussi importants que le droit à l’avortement et la liberté d’expression sont remis en question et les autorités enregistrent les conversations téléphoniques des citoyens.

Bref, la paranoïa a eu raison de la démocratie.

Le hic, c’est que la femme est encore fragile. Le moindre traumatisme pourrait l’achever. Afin de protéger sa mère, le fils de la militante démocrate décide donc de lui cacher ce qui se passe. Il l’empêche de regarder CNN et Fox News, lui fait croire que la clinique d’avortement où elle travaillait est toujours ouverte et lui fait lire de faux journaux qu’il imprime dans un sous-sol grâce à un ami graphiste.

Résultat: la disciple de Thomas Jefferson croit encore qu’elle vit dans un pays démocratique, alors qu’en fait, le gouvernement de George W. Bush menace de plus en plus les libertés civiles des citoyens américains.

Pas mal, non?

Je suis sûr que ce film remporterait un joli succès dans les festivals européens.

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Il y a quelques années, les Pet Shop Boys ont tourné un clip génial pour leur chanson Go West. C’était une sorte de parodie des films de propagande russe des années 40. Vous savez, le genre d’images hyper-constructivistes, avec des drapeaux claquant au vent, des personnages anguleux filmés en contre-plongée, des horizons éclatants, etc.

À l’époque, cette iconographie kitsch servait à vendre l’idéologie communiste. On nous dépeignait l’Est comme un paradis, un éden. Le nec plus ultra du progrès social.

Or, dans leur clip, les Pet Shop Boys viraient cet esthétisme sens dessus dessous. Ils n’utilisaient pas l’imagerie communiste pour nous vendre l’Est, mais l’Ouest! C’était toujours les mêmes drapeaux, les mêmes personnages anguleux sortis d’un film d’Eisenstein, mais ils chantaient: "Go West, life is peaceful there, in the open air, where the skies are blue, this is what we’re gonna do…"

Le message du clip était clair: aujourd’hui, la nouvelle religion n’est plus le communisme mais le capitalisme. L’idéologie est différente, mais on nous la vend avec la même naïveté, la même ferveur, le même aveuglement.

On a peut-être déboulonné les statues de Marx et de Lénine, mais c’est pour les remplacer par des statues de Donald Trump et de Ronald McDonald, c’est tout.

Nous nous croyons (enfin!) sortis du grand rêve collectif qui nous retenait tous captifs. Mais dans le fond, nous sommes toujours dans le même coma…