Ondes de choc

Indépendance: naissance d’un commis voyageur

Avouez que c’est le meilleur scénario. Ou, plutôt, le moins pire.

Un gouvernement libéral majoritaire aurait été désolant. Paul Martin aurait pris ça comme un pardon. Pour paraphraser un internaute: "Se donner un gouvernement libéral majoritaire, c’est comme acheter du stock volé. Ça encourage le voleur à récidiver."

Un gouvernement conservateur aurait été inquiétant. Harper a beau dire qu’il est modéré, on ne sait jamais: une fois installé au 24 Sussex, le chef du PC aurait peut-être enlevé son masque et montré ses vraies couleurs. Le risque était trop grand.

Bref, on n’avait pas une grosse marge de manœuvre. Bien sûr, il y avait le NPD, mais soyons sérieux, tout le monde savait que les néo-démocrates ne prendraient pas le pouvoir. Voter NPD, c’était courir le risque d’affaiblir les libéraux et de laisser tout le champ libre aux conservateurs.

Entre un cancer du poumon et une collision frontale, on a donc choisi la première option. Un cancer, au moins, ça se soigne, alors qu’un face-à-face…

Quand je dis "on", je parle bien sûr du Québec. C’est le Québec qui a fait toute la différence, et qui a empêché Paul Martin de se péter les bretelles trop bruyamment. Si ce n’était des électeurs québécois, qui ont envoyé 54 députés bloquistes à Ottawa, l’ex-bras droit de Jean Chrétien faisait une entrée triomphale au Parlement, comme si de rien n’était.

Comme si le scandale des commandites n’avait jamais existé.

Les Canadiens peuvent donc nous remercier. C’est grâce au Québec si le Canada se retrouve aujourd’hui avec un premier ministre "humble".

Un Parti libéral affaibli et ébranlé, qui a toutes les raisons du monde de surveiller ses arrières et de marcher les fesses serrées pour les quatre prochaines années.

ooo

La grosse question, maintenant, c’est de savoir ce qu’il va advenir de Gilles Duceppe. Maintenant que le Bloc ne forme plus l’opposition officielle, son chef se retrouve dans un cul-de-sac. Un cul-de-sac doré (54 députés, c’est tout de même un score respectable), mais un cul-de-sac quand même.

Duceppe va-t-il attendre tranquillement le prochain référendum, ou fera-t-il un Lucien Bouchard de lui-même et sauter dans l’arène provinciale?

Ne riez pas, c’est ce que la rumeur laisse entendre. En août, Bernard Landry annoncerait publiquement son départ de la vie politique, et Gilles Duceppe profiterait de sa nouvelle popularité pour sauter la clôture et damer le pion à Pauline Marois.

Fantaisie, science-fiction? Je n’en sais rien. Mais l’idée n’est peut-être pas si bête. Pour les adeptes de l’option souverainiste, ça pourrait même être le meilleur scénario possible.

Car s’il y a un politicien qui pourrait "revitaliser" l’option souverainiste, c’est bien Duceppe. Contrairement à Parizeau ou à Bouchard, qui se laissaient trop souvent emporter par l’émotion, Duceppe n’est pas un preacher, un prophète. Sa voix ne tremble pas lorsqu’il évoque l’indépendance, ses yeux ne se remplissent pas d’eau lorsqu’il nous parle de l’île aux Coudres ou de Cacouna. Il ne rêve pas de grands champs de blé battus par des hordes blondes, il ne ressuscite pas le fantôme des Patriotes chaque fois qu’il se retrouve devant un micro, l’indépendance qu’il défend n’est pas victimaire, revancharde ou passéiste, c’est une indépendance moderne, branchée sur le présent.

Et contrairement à Bernard Landry, qui, avec son ton professoral et ses locutions en latin, dégage autant de chaleur qu’une prescription d’antibiotiques, Duceppe est d’abord et avant tout un homme du peuple. Il ne nous fait pas la morale, il ne nous donne pas la leçon, il ne se prend pas pour un prof d’histoire ou un agrégé de sciences po, il a fait son apprentissage à la dure, il a grimpé les échelons du pouvoir un à un. Comme Céline Dion, qui est passée de vilain petit canard à star internationale devant les caméras, on a vu Duceppe vieillir sous nos yeux, s’améliorer, prendre du galon et de l’expérience, troquer la capine en filet contre le chapeau du chef.

Ne serait-ce que pour ça (et pour l’élection-surprise de Maka Kotto dans Saint-Lambert, qui rend le Bloc ethnies-friendly), Gilles Duceppe est très bien placé pour donner un coup de jeunesse salutaire à une option qui en a bien besoin.

Une chose est sûre, les fanas de politique ne s’ennuieront pas au cours de la prochaine année…