Samedi soir, ma blonde et moi avons eu la peur de notre vie.
On est allé voir Mes excuses, le célèbre spectacle de l’humoriste français Dieudonné, et on a ri comme des singes. On applaudissait, on se trémoussait sur notre siège, on en redemandait… Et à la fin, on lui a même offert une ovation!
Mais à la sortie du spectacle, les doutes ont commencé à m’assaillir. Pourquoi les blagues de Dieudonné sur les extrémistes sionistes m’ont-elles autant fait rire? Pourquoi applaudissais-je aussi chaleureusement lorsqu’il lançait des pointes aux colons juifs? Serais-je devenu raciste?
Non, non, ne riez pas, c’est sérieux en diable. Selon le Stephen Roth Institute, un organisme qui étudie l’antisémitisme et le racisme modernes, le Canada est l’un des cinq pays où l’antisémitisme a connu la plus forte croissance en 2003, avec la France, l’Angleterre, la Russie et l’Allemagne. J’aurais peut-être attrapé le virus dans la rue, ou en allant manger un falafel passé date chez le Marocain du coin…
Ce soir-là, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je me voyais avec une chemise brune, en train de brûler des croix en bois dans le jardin et de percer des trous dans mes taies d’oreillers…
L’enfer, je vous dis. J’ai passé la journée du lendemain terré dans ma maison, à me regarder dans le miroir toutes les 15 minutes pour voir si le virus n’avait pas déformé mon visage…
Heureusement, lundi matin, j’ai reçu Le Devoir. "Finalement, Dieudonné n’est pas raciste, s’amende le B’nai Brith", pouvait-on lire à la une. J’ai poussé un cri de joie et j’ai pris ma blonde dans mes bras.
"Je ne suis pas raciste! que je lui ai dit. Je ne suis pas raciste, le B’nai Brith l’a dit! J’ai la bénédiction du B’nai Brith!" (Enfin, la bénédiction, le mot est mal choisi, mais bon, on se comprend…)
J’ai célébré la bonne nouvelle en me faisant venir un couscous. Avec de bonnes grosses merguez.
ooo
Malheureusement, ma joie fut de courte durée. En effet, je ne sais pas pourquoi, mais quelques heures plus tard, je suis allé surfer sur Internet, et je suis tombé sur un site de l’Université de Tel-Aviv qui affirme que l’antisionisme n’est qu’une version polie et "civilisée" de l’antisémitisme.
"Les gens qui critiquent Israël sont souvent mus par des sentiments antisémites", a déjà déclaré Romano Prodi, le président de la Commission européenne, en mars 2003. "Lorsque les gens critiquent les sionistes, ils critiquent en fait les juifs", a dit pour sa part Martin Luther King en mars 1968.
Martin Luther King, bordel! Comment peut-on douter de la bonne foi de Martin Luther King? Aussi bien traiter Mère Teresa de pute…
Je suis donc retombé dans la grande noirceur…
Je me croyais guéri du racisme, mais en réalité, j’étais seulement contaminé par une nouvelle forme du virus, plus insidieuse, plus dangereuse, plus évoluée. Je croyais que je riais des extrémistes sionistes et de la politique d’extrême droite d’Ariel Sharon, mais en fait, c’est du judaïsme au grand complet que je me moquais! C’est le peuple juif dans son ensemble que je vouais aux gémonies! Les progressistes, les athées, les juifs de gauche, les objecteurs de conscience, ceux qui militent contre les colonies et l’occupation des territoires – tous, du premier au dernier, du nouveau-né qui vient de se faire circoncire jusqu’aux vieilles mémés rescapées des camps de la mort!
Diantre, comment ai-je pu être aussi naïf?
Aidez-moi, mon Dieu, aidez-moi, guérissez-moi, débarrassez-moi de ce virus terrible qui salit mon âme et mon corps, je vous en supplie! Je vous le jure sur la tête de mes enfants, je ne critiquerai plus jamais Ariel Sharon, je n’irai plus voir les spectacles de Dieudonné, j’enverrai même de l’argent à des associations sionistes pour qu’elles puissent poursuivre leur mission divine! Il y a tant de maisons palestiniennes à détruire, tant de murs à construire, tant de nouveaux territoires à conquérir, tant de tanks à acheter!
La prochaine fois que Dieudonné se pointera, de grâce, n’assistez pas à son spectacle et ne vous approchez pas du théâtre à moins de cent mètres.
Sa lucidité est extrêmement contagieuse, vous pourriez l’attraper vous aussi.