Connaissez-vous Stanley "Tookie" Williams?
Cet Américain de 49 ans a failli remporter le prix Nobel de la paix en 2001. Que fait-il, selon vous? Il passe ses journées à militer contre les mines antipersonnel, il dirige un organisme qui tente de rapprocher jeunes Palestiniens et jeunes Juifs, il lutte contre la prolifération des armes atomiques à travers le monde?
Non: il a été condamné à la peine de mort pour le meurtre ignoble de quatre personnes.
En 1971, alors qu’il avait à peine 16 ans, Williams a fondé les Crips, un gang de rue basé à South Central, L. A. En quelques années seulement, ce gang hyper dangereux spécialisé dans le vol, l’extorsion et le trafic de drogues est devenu l’un des plus importants groupes criminalisés de l’histoire des États-Unis. Au moment où vous lisez ces lignes, les Crips sèment la terreur dans 42 États américains et ont même fondé une filiale en Afrique du Sud! Les membres de ce gang sont cruels, sanguinaires et prêts à tout pour grossir le portefeuille de leurs amis et faire souffrir leurs ennemis.
Pourquoi Williams a-t-il été mis en candidature pour le prestigieux prix Nobel, alors?
Parce qu’il écrit des livres pour enfants.
En effet, quelques années après sa condamnation, Williams a vu la lumière. Il s’est rendu compte que ce n’était pas bien de filer à tombeau ouvert dans les rues de Los Angeles en vidant le chargeur de son AK-47 sur tout ce qui bouge. Alors il s’est mis à écrire des livres destinés à promouvoir la paix auprès des jeunes.
Du jour au lendemain, "Tookie" Williams (c’est joli, "Tookie", non?) est devenu la coqueluche des médias, qui se sont passionnés pour l’histoire de ce méchant bandit qui a réussi à "retrouver le chemin de la vertu". Qu’importe s’il a fallu le foutre dans une cellule de neuf pieds sur quatre et le condamner à mort pour l’encourager à troquer son fusil contre une Bible: Williams (qui attend toujours son exécution au pénitencier de San Quentin) est devenu l’ami numéro un des pacifistes.
Personne ne connaît le nom des gens qu’il a volés, violés et tués de sang-froid au cours de sa carrière. Mais le nom de Stanley Williams, lui, est célèbre à travers le monde. Ce criminel repenti est devenu une star, et à partir de cette semaine, vous pouvez même louer un DVD racontant l’extraordinaire histoire de sa conversion: Redemption, un téléfilm mettant en vedette Jamie Foxx, le partenaire de Tom Cruise dans Collateral.
Pas mal, non?
C’est ce que j’appelle la théorie de la roue qui grince.
Vous voulez qu’on s’occupe de vous? Grincez. Faites du bruit, roulez tout croche, foutez le bordel. C’est toujours la roue qui grince qui reçoit de l’huile. Les autres, celles qui roulent normalement et qui ne causent aucun problème, personne ne les remarque. Elles font leur boulot, c’est tout.
Chaque jour, des millions de citoyens choisissent de mener une vie honnête. Ils paient des taxes, respectent la loi et sortent leurs poubelles à l’heure où il faut sortir les poubelles. Or, parle-t-on de ces gens à la télé? Envoie-t-on leur CV au jury chargé de choisir le futur Prix Nobel de la paix? Jamais. Ces personnes vivent dans l’anonymat le plus complet. Pire: on rit d’elles à longueur de journée. On se moque de leur poubelle en plastique, de leur bungalow, de leurs voyages en Floride…
Vivre dans les limites de la loi, aujourd’hui, n’est plus une attitude digne de mention. Ce qu’il faut faire, c’est briser la loi pendant 20 ans, puis voir la lumière APRÈS avoir tué et pillé en toute impunité. Ça, c’est admirable! Ça, c’est respectable!
Il y a deux ans, un homme est venu me serrer la main dans un resto. Il aimait mon émission de télé et voulait me féliciter. C’était Michel Dunn, un assassin qui a passé 17 ans en prison pour le meurtre de son associé. Il rigolait avec ses amis et tenait un verre de vin à la main – choses que sa victime ne fera plus jamais.
Qui sait? Dans un an, il va peut-être se mettre à écrire des livres pour enfants. Et tout le monde va saluer son humanisme.
Drôle de temps…