Ondes de choc

Bienvenue en enfer

Imaginez…

Il est trois heures du matin. Vous dormez profondément aux côtés de votre femme. Soudainement, quatre officiers de l’armée défoncent la porte de votre demeure et pénètrent en trombe dans votre chambre à coucher. Ils vous tirent de votre lit, vous menottent et vous mettent un sac sur la tête. Pendant que vos enfants crient et que votre épouse implore vos kidnappeurs de vous sauver la vie, les officiers vous rouent de coups, détruisent les meubles de votre maison et vous jettent brutalement dans la boîte d’un camion.

Vous roulez pendant une heure. Vous n’êtes pas seul dans le véhicule, car les officiers qui vous ont arraché à votre famille ont eu l’ordre de kidnapper tous les hommes de votre village âgés de 16 à 60 ans.

Une fois arrivé à destination, on vous sort du camion et l’on vous amène dans un sous-sol humide. On vous agenouille face à un mur, et l’on vous dit que si vous n’avouez pas faire partie d’un groupe terroriste, on va vous tirer une balle dans la tête. Vous entendez votre bourreau charger son arme. Vous sentez le canon de son pistolet sur votre nuque… Après la plus longue minute de votre vie, on vous ordonne de vous coucher la face contre le sol. On vous donne des coups de pieds dans les côtes et l’on vous frappe le derrière de la tête avec la crosse d’un fusil. Ensuite, on vous soulève et l’on vous attache sur un banc en bois. On vous torture avec des fils électriques ou l’on vous asphyxie en utilisant un masque à gaz. Lorsque vous perdez connaissance, on vous réveille à coups de gifles et l’on recommence.

Après une heure de ce petit jeu, on vous amène dans la cour arrière de l’édifice, et l’on vous jette dans un trou que l’on a creusé à même la terre. Pendant sept jours, vous croupissez dans cette cellule improvisée de deux mètres de profondeur, aux côtés de trois vieillards malades et de quatre adolescents effrayés. Pendant sept jours, votre famille n’a aucune nouvelle de vous. Pendant sept jours, tout le monde vous croit mort.

Cinq fois par jour, on vous sort de ce trou pour vous battre et vous torturer. Après une semaine de ce calvaire, alors que vous êtes à bout de forces, un officier vous remet soudain vos papiers d’identité et vous dit de rentrer tranquillement chez vous.

Vous retournez dans votre maison. Vous tentez de reprendre le cours de votre vie. Et un jour, en regardant distraitement la télé, vous voyez le président de votre pays, celui-là même qui a autorisé ces rafles illégales décriées par l’ONU et tous les groupes de défense des droits de la personne, siroter tranquillement une coupe de champagne en compagnie des leaders du monde libre.

Bienvenue en Tchétchénie.

Le bout du monde.

Le terminus de l’humanité.

La porte de l’enfer.

Depuis des années, la Tchétchénie est battue, violée, torturée, massacrée. Depuis des années, des organismes comme Human Rights Watch et Amnistie Internationale publient des rapports accablants, accusant l’armée russe des pires sévices et des pires exactions. Depuis des années, tout le monde sait que Vladimir Poutine est un criminel qui n’a rien à envier à Staline, à Idi Amin Dada ou à Slobodan Milosevic.

Or, qu’est-ce qui se passe? Rien. Vladimir Poutine est toujours considéré comme un ami par les leaders du G8.

Après ça, on se demande pourquoi la coupe déborde…

Albert Camus avait raison: rien ne justifie le terrorisme. Aucune cause, aussi juste soit-elle, n’excuse le massacre aveugle d’une foule innocente.

Mais il ne faut pas non plus se raconter des histoires.

C’est bien beau, sortir les canons et les fusils. Mais la meilleure façon de couper l’herbe sous le pied des groupes terroristes est de lutter contre le despotisme – TOUS les despotismes – et de combattre les injustices – TOUTES les injustices.

On a beaucoup écrit sur le drame horrible de Beslan, et à juste titre. On a dit que c’était dégueulasse, immoral. Mais entre vous et moi, ce n’est pas le fait que des terroristes aient pris d’assaut une école qui est incroyable. C’est le fait que ça n’arrive pas plus souvent.