Ondes de choc

Un éléphant sur mon balcon

Imaginez que je vous invite prendre un café à la maison. Quand vous entrez, vous voyez un gros éléphant dans mon salon. Énorme, dégueulasse, pataugeant dans sa merde devant la télévision.

Pendant une heure, on discute de tout et de rien, mais on ne parle jamais de l’éléphant. Pas un mot.

À un moment donné, vous dites: "Coudonc, Martineau, ça sent bien bizarre chez toi?

– Je suis désolé, je ne sais pas ce qui se passe, c’est comme ça depuis une semaine. J’ai examiné chaque recoin de la maison, et je n’ai rien trouvé. Je n’arrive pas à expliquer cette odeur…

– Et c’est quoi, tous ces objets brisés? Ta table est toute croche, les coussins de ton sofa sont tout sales…

– Écoute, je ne sais pas quoi te dire, c’est un vrai mystère…"

On continue de jaser, je vous sers un autre café, et après 20 minutes, pendant que l’éléphant fait une grosse crotte bien grasse sur le tapis du salon, je vous reconduis à la porte et vous dis: "À la prochaine!"

Ça serait bizarre, non?

Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé lors du premier débat entre George W. Bush et John Kerry. Pendant une heure, les deux candidats à la présidence des États-Unis ont discuté de politique internationale. Pendant une heure, ils ont dit ce qu’ils feraient pour rendre le monde plus sécuritaire. Pendant une heure, ils ont parlé de la guerre en Irak et de la situation au Moyen-Orient.

Mais ils n’ont JAMAIS mentionné la question palestinienne. Pas une phrase, pas un mot, rien.

Pourtant, s’il y a un sujet chaud en politique internationale, c’est bien celui des relations entre Israël et la Palestine! Comment ont-ils pu éviter complètement le sujet?

Ne pas parler d’Israël lors d’un débat portant sur la politique internationale, c’est comme ne pas parler du pétrole ou du réchauffement de la planète lors d’un débat portant sur l’environnement! Allô? Y a-t-il quelqu’un à la maison?

La situation était complètement surréaliste.

Je regardais le débat, et je me disais: "Mais ils vont bien finir par parler de l’éléphant qui est assis juste derrière eux! Ils vont bien finir par parler d’Israël!" Mais non. Les deux candidats faisaient des détours incroyables pour ne pas mentionner le sujet.

Rien sur les colonies juives. Rien sur Ariel Sharon. Rien sur le "mur de sécurité".

Comme s’il n’y avait aucun lien entre la montée de l’intégrisme chez une partie de la population arabe et la situation au Proche-Orient!

Je ne dis pas qu’Israël est responsable de tout ce qui se passe dans la région ni qu’une résolution de la crise palestinienne éliminera automatiquement toute menace terroriste. La situation, là-bas, est éminemment complexe, et Yasser Arafat partage une bonne partie des responsabilités. Mais enfin, il faut être aveugle, sourd et muet pour éviter complètement le sujet!

C’est pourtant ce qui s’est passé…

Ni John Kerry ni George W. Bush ne sont prêts à ouvrir cette canne de vers. Aucun des deux candidats ne veut remettre en question l’appui inconditionnel des États-Unis envers Israël. Pour eux, le sujet est tabou et le dossier, fermé.

Il me semble que si j’étais pompier, et que ça faisait vingt-cinq mille fois que j’allais éteindre un incendie à la même adresse, j’examinerais le système électrique de la maison pour voir s’il n’est pas défectueux, non?

La politique a parfois des raisons que la raison ne connaît pas…

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En 1979, un Français, Philippe Maurice, a tué un policier. Il a été condamné à mort, puis gracié en 2000. Il est actuellement à Montréal, où il participe au deuxième Congrès mondial contre la peine de mort. On le voit à la télé, on l’entend à la radio. Il mène une brillante carrière d’historien pendant que sa victime innocente (un père de famille dont on ne connaît même pas le nom) pourrit six pieds sous terre dans l’indifférence générale.

Oui, je suis contre la peine de mort, monsieur Maurice. Mais il y a autre chose qui existe, et qui s’appelle l’emprisonnement à perpétuité. Ça ne vous aurait pas empêché d’étudier. Mais ça vous aurait empêché de manger des petits fours et de promener votre gueule aux quatre coins du monde. Qu’en pensez-vous?