Ondes de choc

Le bonheur est dans la télé

Savez-vous comment vérifier si une personne habite au Québec? En lui demandant si elle a une opinion sur l’affaire Morissette. Si elle n’en a pas, bingo! cette personne vient de l’extérieur.

Tout le monde a une opinion sur l’affaire Morissette. Même ceux qui ne connaissent foutrement rien sur les coulisses de la télé en ont une. Le créateur et animateur de la défunte émission V.I.P. est victime d’un complot organisé par Quebecor, il avait trop de chats à fouetter, il a refusé de retravailler son émission comme on le lui avait demandé, il est victime d’une cabale organisée par un ancien producteur, etc., etc.

Cette histoire est en train de prendre des proportions totalement débiles.

Il faut dire que les Québécois sont complètement crackpot lorsqu’il s’agit de télé. Le petit écran, ici, n’est pas un divertissement, mais une religion. Ce qui se passe dans le merveilleux monde de la télé est plus important que n’importe quoi. Plus important que ce qui se passe au Moyen-Orient, à Ottawa ou à Québec.

Il y a quelques années, j’ai commis un pamphlet intitulé Pour en finir avec les ennemis de la télévision, chez Boréal. Il faut cesser de démoniser la télé, disais-je. Ce n’est pas parce qu’on regarde le petit écran qu’on est nécessairement inculte, amorphe ou analphabète. Il y a d’excellentes émissions de télé comme il y a de très mauvais livres. La culture et la qualité ne sont pas allergiques à l’électron. Et la propension au zapping ne devrait pas être considérée comme une maladie mentale ou un signe de déficience intellectuelle. À chaque époque, son rythme.

Mais entre démoniser la télé et lui vouer un culte comme on le fait aujourd’hui, il y a une marge.

Je n’ai jamais compris les gens qui passent leur soirée entière devant la télé, du dernier ronron du lave-vaisselle jusqu’au premier ronflement du conjoint.

Get a life, bordel! Sortez, lisez, invitez des amis à souper, écoutez de la musique, jouez aux échecs contre votre ordinateur, faites du Pilates, louez un film, expérimentez de nouvelles positions sexuelles, construisez des cabanes à moineaux avec des bâtons de popsicle, tricotez-vous un poêle, faites-vous tatouer les fesses, n’importe quoi, mais élargissez vos horizons, bon Dieu! Diversifiez votre portefeuille d’activités, ne mettez pas toutes vos heures libres dans le même panier!

Je m’excuse, mais ce n’est pas normal que la télé ait autant d’importance dans une société. Ce n’est pas normal que toutes les conversations de bureau tournent autour du petit écran. Ce n’est pas normal qu’une chicane entre un directeur de programmation et un chroniqueur fasse couler autant d’encre et de salive.

Ça ne vous met pas mal à l’aise, vous, que chaque dimanche, deux millions de personnes se vissent devant leur télé pour regarder la même émission? Même l’animateur du show semble gêné! Et que dire des quatre millions de personnes qui écoutaient La Petite Vie? Vous trouvez ça sain?

La culture, maintenant, n’existe que sous le regard des caméras. Hors l’écran cathodique, point de salut. Je passe à la télé, donc j’existe.

On diffuse une émission parodiant ce qui s’est passé au cours de l’année? Tous les sketchs vont traiter de la télé. Et si on manque de matériel, pas de problème, on va se déguiser en PKP et on va se moquer de ce qui se passe dans les coulisses de la télé!

V.I.P. était-elle une émission culturelle? Non, c’était une émission qui se moquait des émissions culturelles! Quelle émission Louis-José Houde va-t-il animer à la télé de Radio-Canada en janvier? Une émission présentant les meilleurs moments de la télé à Radio-Canada! Et que voit-on de plus en plus lorsqu’on regarde la télé? D’autres télés! Une caméra capte les invités, et leur image est retransmise dans un moniteur qui est à son tour filmé par une autre caméra!

Plus post-moderne que ça, tu meurs.

Je fais de la télé. Je suis très fier de travailler dans le milieu de la télé. Et je trouve que le Québec fait de la très bonne télé. Mais je pense sincèrement qu’on a atteint le point de saturation.

Car entre vous et moi, c’est bien, la télé. Mais ce n’est QUE de la télé…