Ondes de choc

La switch à bitch

Je vous avertis tout de suite, je ne parlerai pas des élections américaines, pour la simple et bonne raison qu’au moment où j’écris ces lignes, on ne connaît toujours pas l’identité du prochain président.

On reviendra sur le sujet la semaine prochaine, lorsque la poussière sera retombée. De toute façon, un peu de recul n’a jamais fait de mal à personne…

Ce dont j’aimerais vous parler, cette semaine, c’est du nouveau sport national des Québécois: le bitchage.

C’est la mode, maintenant. Chaque fois que des comédiens ou des chanteurs se réunissent pour célébrer leur art, paf! on met la switch à bitch. Une telle est conne, l’autre n’a pas de talent…

Je m’excuse, mais qui a décidé que les galas devaient ressembler à un show de Mado Lamothe? Ce n’est pas suffisant, de donner des prix? Il faut aussi distribuer des insultes?

Pourquoi ne pas faire animer les galas par les entartistes, tant qu’à faire? Ça aurait l’avantage d’être plus clair. Une tarte, un trophée, une tarte, un trophée… La soirée pourrait être commanditée par Dream Whip.

Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre Guy A. Lepage, au contraire. Je trouve qu’il se débrouille très bien comme animateur de gala et j’admire beaucoup son franc-parler. Quand il a critiqué la frilosité de la radio commerciale, qui ne diffuse qu’un faible pourcentage de la production musicale québécoise, j’ai applaudi des deux mains. Idem lorsqu’il nous a expliqué pourquoi Marie-Chantal Toupin était si fatiguée. Le gag était brillant, et la démonstration, lumineuse. En trois coups de crayon, Guy A. nous a montré comment une tournée mal organisée peut bousiller la santé d’une artiste… C’était un grand moment de télé, qui nous a permis de nous coucher moins niaiseux.

Mais les attaques personnelles, désolé, je ne comprends pas…

Guy A. n’est pas le seul à déraper de la sorte. C’est partout pareil: la mode est au bitchage. Je bitche, tu bitches, il bitche. C’est à qui sera le plus méchant, le plus mesquin. Plus rien n’est tabou, tous les coups sont permis, même les plus bas. On se moque de la vie sexuelle des personnalités publiques, de leur physique, de leurs enfants.

Au moins, si on riait AVEC, ça pourrait passer. Mais non, on rit DE. Toute la salle (et tout le Québec) contre un.

Les galas, maintenant, sont des terrains minés. Pas étonnant que certains artistes préfèrent rester chez eux. Assister à un gala est rendu aussi agréable que de jouer à la roulette russe. Les gens sont assis sur le bout de leur siège, tout le monde est stressé, on ne sait jamais qui va y goûter, sur quelle tête le seau de marde va se renverser, qui va devenir la nouvelle tête de Turc des Québécois.

Belle ambiance.

Ce n’est pas censé être une célébration, un gala? Une fête, un party? Un hommage rendu aux créateurs d’ici? Un coup de chapeau soulignant la vigueur de notre vie culturelle?

Ça ressemble de plus en plus à un dîner de cons. On choisit un artiste qui est déjà à genoux, et on varge dessus jusqu’à ce qu’il tombe face contre terre.

"Tenez, mes amis, prenez un morceau de chocolat. Ah, et en passant, on a mis deux, trois carrés d’Ex-Lax dans le bol. Il y a un malchanceux qui va chier dans ses culottes toute la soirée. Dieu qu’on va s’amuser!"

Étrange façon de célébrer, non?

Si au moins on visait les bonnes cibles – les dangers de la convergence, les câblodistributeurs qui encouragent leurs clients à télécharger de la musique gratuitement, les gérants d’artistes qui produisent des shows de variétés pour promouvoir la carrière de leurs poulains, etc. Ça, ça serait instructif! Ça, ça serait amusant!

Mais non, on préfère rire de la perruque d’un tel ou du gros cul de l’autre.

Je m’ennuie du temps où Luc Plamondon et Fabienne Larouche profitaient des galas pour dénoncer l’hypocrisie des politiciens ou la cupidité des producteurs. Ça faisait tout autant parler, le lendemain, autour de la machine à café.

Mais au moins, c’était pour une bonne cause.

On brassait la cage, au lieu de juste brasser de la marde.